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NAPOLEON Ier.
Jour et nuit nous etions sous les armes, ce qui nous causait des fatigues modelles. Le mécontentement était peint sur tous les visages. »
Néanmoins Bonaparte conservait toute sa confiance et toute son énergie. Il partageait la nourriture de son armée, la rassurait par ses promesses, la calmait dans ses accés de clécouragement : « Ce fleuve, disait-il, qui répondait si peu dans ce moment å sa réputation, com-mengait a grossir et bientot justifierait tout ce qu’ils en avaient oui raconter; ils campaient sur des mqjiceaux de blé, et sous pen de jours ils auraient des fours et des moulins. » Ces discours produisaient quelque effet sur des esprits crédules; mais la plupart de ces soldats persistaient å se croire déportés par le Directoire, en liaine de leur général, et se promettaient pour plus tard de faire payer eher au gou-vernement la maniére dont il les traitait eux et Bonaparte.
Kléber donna dans ces terribles jours la mesure de son caractére et contribua autant que Bonaparte å empéeher la demoralisation com-pléte de 1’armée. Un jour les soldats épuisés refusent de porter les blessés qu’ils vont abandonner å une mort certaine. Kléber arrive å la håte. <( Misérables, dit-il, vous étes des låches : vous n’étes pas des soldats. )) Des murmures violents éclatent de toute part. « Oui, reprend Kléber, vous étes des låches; etre soldat, c’est quand 011 a faim ne pas manger, quand on a soif ne pas Loire, quand on ne peut plus se porter soi-méme porter ses camarades blessés; voila ce que doit étre le soldat : misérables, reprenez vos blessés.)) Ces paroles ne sont pas en vain entendues, et les blessés sont sauvés.
Cependant le bruit s’était répandu au Caire que c’était vraiment une grande armée d’infidéles qui avait débarqué en Egypte, qu’elle avait pris Alexandrie et qu’elle s’avangait vers la capitale. Elle avait une nombreuse infanterie, mais presque point de cavaliers. Les beys pous-sérent aussitöt des cris de joie. « Ce sont des pastéques å couper, » cli-sait-on partout. Et, en effet, pour des liommes comme les mameloucks, couverts de riches habits, armés å l’anglaise, montés sur les meilleurs chevaux qu’on puisse voir, l’infanterie était diose méprisable; ils ne doutaient point que leur seule vue n’effrayåt les Frangais : profitant de leur désarroi, ils se jetteraient au milieu d’eux, les massacreraient