170
NAPOLEON Ier.
rent confiés : avec un pen plus d’aetivité et d’audace il eüt pu changer en triomphe éclatant un grand désastre.
Privé de Villeneuve, écrasé par la supériorité des feux anglais, Brueys, qui avant l’action n’avait point su montrer les talents d’un amiral, montra au moins dans la mélée ceux du plus brave soldat. Les Fran^ais, quoique se voyant dans une situation fort compromise, lut-taient avec un acharnement inou'i. Le vaisseau amiral l’Orient se trouvant isolé et entouré, mais refusant de rendre son pavillon, vit le feu gagner ses poudres; Brueys périt au milieu des débris de son navire. Cette épouvantable explosion, arrivée å onze heures du soir, suspendit le combat pendant un quart d’heure. C’était une grande perte pour les Frangais et eet accident imprévu commenga å décider de la vic-toire. Mais meine alors, les Anglais l’ont reconnu, si Villeneuve avait agi, nous pouvions encore avoir le dessus. Le combat dura quinze heures å partir cle l’explosion de l’Orient. Il n’y a peut-étre pas dans toute l’histoire maritime d’exemple d’une pareille résistance; jamais nos marins n’avaient été plus héroiques, et, comme l’a dit le poéte,
En cette nnit de deuil
La France put trouver méme un sujet d’orgueil. On sait que ses marins, d’une voix étouffiée, Saluaient leur cocarde aux chapeaux agrafée Et, pres de s’engloutir dans les brillantes eaux, Clouaient les trois couleurs aux mats de lems vaisseaux (1).
Les Anglais prirent ou détruisirent successivement tous les autres navires, tandis qu’une foule de Frangaia accourus sur les hauteurs envi-romiantes assistaient, témoins impuissants, å ce terrible écliec de nos armes. Nelson avait perdu beaueoup cle monde, mais son but se trouvait trop bien réalisé : les Francis étaient prisonniers en Egypte. Bonaparte regut la nouvelle avec moins cle douleur qu’on n’aurait pu le supposer. « Eli bien, dit-il aussitöt, il faut mourir ici ou en sortir grand comme les anciens. » Sa Constance, son activité, et ses procla-mations véhémentes ne tardérent pas å relever le moral des soldats.
(1) Barthélemy et Méry, NapoUon en Égypte, chant II. Comparer La Frégate « la Sérieuse », par Alfred de Vigny.