NAPOLEON I«
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un génie comme le sien, une des principales causes de sa cliute. Non seulement il exigeait une obéissance aveugle aux ordres qu’il donnait, mais il défendait toute espéce d’initiative, aussi bien aux militaires qu’aux fonctionnaires civile. « Le monde périrait, écrivait-il au ministre du Trésor, Barbé-Marbois, vous n’avez pas le droit de sortir de vos attributions. »
Mais ici se montre un des traits qui out fait porter sur Napoléon, avec une egale apparence de raison, les jugements les plus contradictoires, je veux parier de l’écart qui existait entre ses idées et son caractére. Il avait l’åme assez haute pour compren-dre que la liberté politique, justement modérée par de bonnes lois, est une condition nécessaire de la grandeur d’une nation; qu’il faut que le citoyen puisse se défendre contre le gouvernement, et que l’opinion puisse se faire entendre. Il lui répugne de passer pour avoir asservi le peuple qui l’a élevé au pouvoir. Le méme souverain qui écrivait ä Barbé-Marbois des le 15 décembre 1805 les lignes que nous venons de citer, disait ä M. de Champagny dans la lettre du 26 avril 1806 : « La subordination civile n’est point aveugle et absolue; elle admet des raisonnements et des observations, quelle que puisse étre la Hierarchie des autorites... Je n’exige d’obéissance aveugle que dans le militaire. Les préfets ne sont que trop enclins ä un gouvernement tranchant contraire å mes principes et ä l’esprit de l’organisation administrative. » « J’ai longtemps calculé, écrivait-il un jour confidentiellement a son ministre de la police, Fouché, j’ai longtemps calculé et veillé pour parvenir ä rétablir l’édifice social. Au-jourd’hui, je suis obligé de veiller pour maintenir la liberté publique; je n’entends pas que lesFrangais deviennent des serfs.
Malheureusement le caractére de Napoléon prenait trop souvent le dessus et lui faisait oublier les principes qu’il avait émis sincérement (1). « Dans sa conception du gouvernement, dit M. Rapetti, il ne séparait pas l’autorité de la liberté, mais il ne semblait avoir dans la pratique que les emportements d’une volonté absolue et sans frein. Une grande place a été faite å toutes les garanties essentielles de la liberté dans l’organisation napoléonienne. Mais si l’Empire n’a pas été le despotisme, il en a eu les procédés et on était porte ä croire que c’était la le dernier mot de la théorie gouver-nementale de Napoléon. »
Dés 1807, il abolissait le Tribunat, qui, quelque affaibli qu’il fut, lui portait encore ombrage, et se contentait de transporter quelques-unes de ses attributions au Corps législatif. C’était un véritable coup d’État contre la Constitution de l’an XII. Le Tribunat aboli, le Corps législatif semble trop puissant encore å Napoléon, et si un hasard
(1) Le caractére des lettres citées et les personnages å qui elles sont adressées nous paraissent le démontrer, et on pourrait citer beaueoup d'autres passagea analogues.