PASSAGE DES ALPES.
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tés : on offiit aux paysans mille francs par piéce de canon trans-portée cle Saint-Pierre å Saint-Remi. Mais il fallait deux jours et cent hommes pour une seule piéce. Malgré l’appåt du gain, aprés quelques piéces passées, ils refusérent de continuer. On dut avoir re-cours aux soldats; on leur offrit l’argent que Fon avait promis aux paysans, mais ils ne l’acceptérent pas, disant que c’était un devoir d’honneur pour une troupe de sauver ses canons.
L’armée, qui, voyant la vallée s’élargir å mesure qu’on clescendait le cours de la Doria, croyait que ses grandes fatigues étaient finies, se trouva arrétée bientot par un défilé défendu par le fort de Bard. Oii ne pouvait songer å passer sous le canon du fort. Bonaparte, resté å Martigny pour surveiller le passage, étuclie la carte, y recon-nait d’autres chemins que le défilé de liard, par lesquels il ordonne de diriger l’infanterie, la cavalerie et quelques piéces légéres. « Quant å la grosse artillerie, disait-il, si 011 ne pouvait la faire passer, on l’abandonnerait et on en serait quitte pour prendre celle des Au-trichiens å la premiére rencontre. L’important était de passer. » Aprés avoir donné ses derniéres instructions, il commenga lui-méme å fran-chir le col le 20 mai; ce ne fut pas sur un clieval fougueux, ainsi que le représente un tableau célcbre qui n’est qu’une allégorie, mais sur un mulet conduit en main par un guide du pays. Parvenu au sommet, il descendit en se laissant giisser sur la neige et arriva le soir meme å Etroubles, au delå de Saint-Remi. Cependant le com-mandant du fort cle Barel voyait avec dépit, de son poste, l’armée frangaise defiler sur l’autre rive par le sentier d’Albaredo; mais il ré-pondait sur sa tete que pas une piéce de canon ne passerait : sur quoi il se trompait encore, On couvrit la route de furnier et de paille, on disposa des étoupes autour des piéces pour éviter le moindre retentis-sement, des artilleurs intrépides s’attelérent eux-mémes aux piéces, et elles passérent sous le fort de Bard au meme instant que les chevaux passaient par l’Albaredo.
Pendant que le gros de l’armée (40.000 hommes) passait par le grand Saint-Bernard, la gauclie (18.000 hommes), formée de soldats détachés de l’armée du Rliin sous le commandement de Moncey, franchissait le