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NAPOLEON I«
le duc d’Enghien se trouvait å Ettenheim était alsacien, et la maniére dont il prononga le nom de M. de Thumery, secrétaire du duc, tit croire qu’il s’agissait du généra] Dumouriez. Bonaparte alors n’hésita plus, et sur son ordre le général Ordener, avec un detachement de dragons, enleva le prince sur le territoire badois. C’était une violation brutale du droit des gens. Heureux encore si l’on. s’en était tenu lå! Mais le mal-heureux prince, immédiatement amené å Paris fut, en vertu d’ordres signés fous du Premier Consul, traduit, sans témoins et sans défen-seurs, sans publicité d’aucune sorte, clevant une commission mili-taire, présiclée par le général Hulin. Il fut interrogé, condamné et exécuté dans la méme journée. Les ordres donnés le matin par Napoléon étaient précis : tout devait étre terminé dans la nuit. A l’approche du jour, le prince fut conduit dans le fossé du chåteau. La vue d’une compagnie de gendarmerie d’élite sous les armes ne lui laissa plus de doute sur le sort qui l’attendait. La fosse d’ailleurs était creusée d’avance. Il entendit avec fermeté la leeture de la sentence, s’agenouilla pour faire une courte priére, se releva, refusa de se laisser bander les yeux, et regut la mort avec un courage simple digne de son nom. Pour que les soldats pussent viser dans l’obscurité, on avait placé une lanterne sur sa poitrine. Le prince avait demandé å plu-sieurs reprises å voir le Premier Consul.
Napoléon, s’il en avait eu le temps, serait peut-étre revenu sur ses ordres primitifs. Dans la terrible soirée ou la catastrophe se préparait, on le vit montrer une gaieté trop bruyante pour étre sincére. Puis il appela M"ie de Eémusat vers une table pour faire une partie d’échecs. « Il ne jouait guére bien, dit-elle dans ses Mémoires, ne voulant pas se soumettre å la marche des piéces. Je le laissais faire ce qui lui plaisait: tout le monde gardait le silence. Alors il se mit å chanter entre ses dents : puis tout å coup des vers lui revinrent å la mémoire. » C’étaient des passages de Cinna et d’Alzire qui parlent de clémence. On sut le lendemain qu’il avait chargé le conseiller d’État Réal d’aller interroger le prisonnier : c’était surseoir å l’exécution. Par. un accident déplorable, Réal ne regut 1’ordre que trop tard, et, lorsqu’il se rendait å Vincennes, il rencontra sur sa route Savary, qui venait rendre compte au Premier Consul de l’exécution de ses ordres. Lorsque Savary eut pénétré dans le cabinet du Premier Consul, celui-ci lui demanda aussitöt : « Réal a-t-il vu le prisonnier ? » M. Réal arrivait au méme moment, il s’excusa en tremblant. Le Premier Consul, sans exprimer de blåme, congédia Réal et Savary, et s’enferma dans une piéce de sa bibliothéque ou il demeura plusieurs heures.