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NAPOLEON I°r.
Tout en faisant la part de la juste irritation d’adversaires si malheureux, il est certain qu’une transformation s’était faite dans l’esprit et le caractere de Napoleon pendant la guerre de Prasse. Cette guerre, il ne la voulait pas, il avait été obligé å la faire par d’insolentes provocations. Il sentait qu’il s’engageait dans des aventures qui n’auraient point de fin. Des projets excessifs commencérent å hanter sa pensée.
Ils s’affirmérent aprés Tilsit. Il sera « le roi des rois » (1), et tous les autres sou-verains ne seront que ses subordonnés dans une vaste fédération dont il sera le chef. ,Sa famille, å laquelle il a déjå donné deux trones aux dépens des anciens souverains, en recevra de nouveaux. « Sa dynastie, le mot est de lui, sera bientöl la plus ancienne de l’Europe. » Que ces idées se soient présentées des cette date å son esprit, sous la forme d’un plan qu’il fallait méthodiquement poursuivre, on ne peut l’affirmer. Mais ce réve a frappé son imagination, et malheureusement avec un génie si puissant pour l’action, et si apte å concevoir aussitot dans l’ensemble et les details les moyens pra-tiques de réaliser la pensée, il n’y a pas loin du réve å l’exécution.
Lo vieux prince de Ligne écrivait au prince d’Arenberg, le 20 juillet, quelques jours aprés Tilsit : « Napoleon, qui aime mieux se grandir que s’agrandir et conquérir qu’acquérir, a mieux aimé l’entrevue que de marcher å Riga d’un coté, ä Grodno de l’autre. Je ne trouve pas, au reste, cette marqueterie de l’Europe bien dangereuse et pouvant durer plus longtemps que son auteur. »
La France avait peut-étre plus de confiance dans son chef; mais elle sentit aussi que ce traité n’était probablement encore qu’une tréve ; et elle ne voyait pas de fin å ces guerres incessantes et au despotisme croissant qui en était la suite; elle craignait de n’étre plus qu’un instrument entre les mains d’un homme qui la sacrifierait aux projets d’une ambition sans mesure. La paix, si souvent attendue et jamais durable, était, plus encore qu’en 1803, le désir de tous.
En 1805, au moment ou la Grande Armée se mettait en marche sur l’Allemagne, Mrae de Rémusat écrivait, å la date du 24 septembre : « Chacun vit chez sol, inquiet, incertain; les spectacles sont deserts; tout le monde gémit et attend dans le silence l’ouverture des grands événements. » On comprend quel mécontentement dut prodiure le renouvellement de la guerre en 1806. « La paix! écrivait encore Mme de Rémusat au 12 octobre dc cette année, la paix, on ne l’espére plus guére ici. Il y a un décourage-ment et un mécontentement général; on souffre et on se plaint hautement. Nulle ad-miration, pas mémc d’étonnement, parce qu’on est blasé sur les miracles (2). »
On voit que Napoléon aurait du, dans son intérét méme, tenir compte dés lors des sentimenls dela France. Il avait exprimé la pensée qu’il
(1) Seeley, Courte.HMre de Napoléon I", ch. II, § 3.
(-2) Voir aussi Souvenirs du générql Collet, t. II, p. 93; Mémoires de Ségur, t. II, p. 460, etc.