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NAPOLÉON I“r.
on ne voyait qu’un désert; au loin, des forets. Napoléon, impatienté, galope sans but devant son armée, s’enfonce dans la foret, puis re-vient å la båte. Ce jour-lå un orage épouvantable vint fatiguer 1’armée et fit périr 10.000 chevaux dans la marche ou dans les bivouacs sui-vants. En méme temps un escadron polonais de la garde périt en ten-tant de passer å la nage la Vilia sur Fordre de Napoléon. L’Empereur espérait une bataille aux portes de Vilna, il n’y eut qu’un faible engagement. Les Russes fuyaient en effet vers Drissa en brulant les ponts et les magasins.
A peine arrivé å Vilna, Napoléon eut å regler toute sa correspondance politique, administrative et militaire, qui s’était accumulée pendant les premiers jours de marche, et ä organiser la suite de la Campagne. Il comptait sur l’appui des Lithuaniens pour combattre les Russes, mais craignait, en les affranchissant, de mécontenter l’Au-triche, et ne voulait pas s’oter la possibilité de traiter avec la Russie. La méme rai-son l’empéchait de ressusciter franchement la Pologne. Vainement la diéte du grand-duché de Varsovie s’était-elle constituée en diéte générale, avait-elle déclaré le royaume de Pologne rétabli et envoyé une députation å Napoléon pour lui dire : « Que Napoléon le Grand prononce ces seules paroles : « Que le royaume de Polo-te gne existe », et il existera. » L’Empereur n’avait pas voulu s’engager. « Si Napoléon, au lieu de s’enfoncer en Russie, se fut borné ä organiser et å défendre l’ancienne prin-cipauté de Lithuanie, nulle force humaine n’eüt pu empéeher le rétablissement de l’État polonais-lithuanien, dans ses anciennes limites. Les destinées de la France et de l’Europe auraient été changées (1). » Bientöt l’armée souffrit de la famine, et alors il fut impossible d’empécher le pillage, qui exaspéra bientöt les populations mémes dc l’ancienne Pologne, lesquelles n’avaient d’abord pour nous que de la Sympathie.
Les Busses avaient tout détruit sur la route de la colonne imperiale. Des soldats méme appartenant å la jeune garde étaient morts de faim ; d’autres, au milieu des chemins, s’appuyaient le front sur leurs fusils et se faisaient sauter la cervelle. Les trainards formaient déjå une véritable armée, et l’on n’était qu’au commencement dela Campagne. Cependant Napoléon et le prince Eugéne s’avangaient sur Vitepsk, tandis que Murat, Oudinot et Ney contenaient Barclay (10 juillet), que Jérome repoussait lentement Bagration dans les dé-filés du plateau de Lithuanie, et que Davout, établi entre la Vilia et la Bérézina, le forgait å rentrer dans les marais avec 40.000 liommes.
(l)Eambaud, Ilistoire de Russie. — Voir aussi Villemain, Souvenirs contemporains, 1" volume.