Ornementation Usuelle
De Toutes Les Époques Dans Les Arts Industriels Et En Architecture
Forfatter: Rodolphe Pfnor
År: 1866-1867
Forlag: La Librarie Artistique de e. Devienne et Cie
Sted: Paris
Sider: 418
UDK: 745.04 Pfn
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riques ; des traités qui n’avaient jamais et n’ont pas depuis été
imprimés, dont un de Michel-Ange, un de Léonard de Vinci, etc.
Un musée, un institut, un monde! Voilà comme ils entendaient
leur métier, les artisans de ce temps-là! Si bien qu’en définitive,
lorsque Philippe d’Orléans, régent, stipulant pour Louis XV âgé
de dix ans, voulut faire constater la ruine de Bouile, aux fins de
la connaître sinon de la réparer, les experts, gens rigoureux par
devoir, établirent une somme totale de 383,780 livres, qui fai-
saient plus d’un million d’aujourd’hui. Combien de nos fabricants
eussent mieux et plus sagement aimé se constituer de cela 50,000
francs de rente !
Bouile survécut douze années tristes à la destruction de tout
ce qu’il aimait. Il mourut nonagénaire, le 29 février 1732. Son
tombeau est ou doit être à Saint-Germain l’Auxerrois. Où est
sa statue, messieurs les ébénistes?
C’est à tort qu’on attribuerait seulement à ce roi du meuble le
genre écaille incrustée de métal qui est aujourd’hui son synonyme
et fait écrire sur les portes : « Un tel, meubles de boule et autres.»
Ce genrô futl'uno <16 sos inventions, pas davcintag‘6. Bouile ftiisait
tout ce qui était beau. Sa gloire grande et principale n’est point
là. On a pris une page pour le livre tout entier. Ce créateur était
mieux qu’un chercheur d’arabesques. Le premier, et nul ne l’a
surpassé, il sut mettre ensemble, par un mariage grandiose, la
richesse du bois orné et la splendeur du métal sculpté. Oui,
sculpté; car alors on ne fondait pas les cuivres d’ornement ni
meme toutes les figures quasi finies, comme à présent on les fond
afin d’épargner au ciseleur une peine qui prendrait de l’argent
au fabricant. Les reliefs sortaient du moule indiqués seulement,
ou dégross’s à peine ; et l’ornemaniste travaillait là-dessus en
pleine matière, la sculptant véritablement plus qu’il ne la ciselait.
Sans compter les merveilles de cette espèce que possède le riche et
ténébreux marquis d’Hertford, il y a à Paris, au Palais-Royal,
chez M. Désirabode, un adorable secrétaire qui n’est pas bien
vieux et n’est pas de Bouile. Les cuivres de celui-ci dénoncent
Gouthière, ou je me tromperais fort ; ils ont coûté peut-être deux
ou trois mille francs de ciselure, alors que la reine Marie Antoi-
nette était dauphine. C’est vraiment à se mettre à genoux devant !
Ainsi faisait travailler Riesener, par traditipn grande et vénérée ;
ainsi on travaillait chez Bouile et quelques autres hommes de
Louis XIV. Toutes les beautés faites à la main. Et chaque fois qu’on
vous montrera un meuble ancien dont les bois seront très-beaux
et les cuivres détestables, dites hardiment, ô lecteur notre ami,
que c’est là une chose mutilée et rabouisde, dont quelque brocan-
teur impudent et malin a détaché les vraies garnitures pour
les surmouler d’abord et les revendre cher ensuite, les remplaçant,
comme un faussaire, par les laideurs et les déshonneurs que
voici.
Et de même que Bouile sculptait ou donnait à sculpter ses
cuivres, de même aussi il inventait des architectures et des mo-
dèles. Par ce qui fut brûlé ou volé chez lui, nous savons à quelles
nobles sources il s’inspirait et puisait. L’antique et le moderne
lui servaient avec le même goût majestueux et superbe. Il soute-
nait ses corniches sur des cariatides de Jean Goujon ; il mettait
le Jour et la Nuit de Michel-Ange sur les horloges do Trianon. Le
czar Pierre eut de lui un secrétaire avec le Laocoon en ronde bosse
dans le panneau. Le tout non pas reproduit, mais magistralement
copié. Cet homme était de la race des colosses.
L’un de ses fils, celui qui signait Bouile de Sève (Sèvres), passe,
à tort ou à raison, pour avoir inventé le genre d’ébénisterie dans
lequel on faisait entrer la porcelaine en décoration, soit comme
plaques peintes, — sujets, fleurs, oiseaux, — soit comme biscuit,
— bas-reliefs ou rondes bosses. J’en doute. Ce genre de confiserie
est, je crois, plus moderne, et d’ailleurs les fils des hommes de
génie n'inventent pas grand’ehose en général. Il se pourrait
cependant qu’un amateur puissant eût poussé à Bouile de Sève
l’idée de ces galanteries pompadour : nous savons plus d’un fabri-
cant fier à qui l’intelligence de l’acheteur profite. Intelligence ou
caprice, ou folie. Tout peut servir.
Descendons maintenant du géant Bouile à ce qui se fait de nos
jours sous son nom. Quelques bonnes maisons parisiennes se
tirent de l’héritage avec respect. L’une d’elles même procède ou
procédait de Bouile directement, par une transmission héréditaire
et non interrompue, c’est ou c’était celle des frères Béfort : le
présent d’hier est peut-être l’imparfait d’aujourd’hui. On y réparait
fort bien les rares débris authentiques de cette provenance sacrée.
Les autres maisons font du neuf. Mais, par malheur, les familles
qui ne sont point de finance ne veulent plus ou ne peuvent plus payer
le boule, comme Bouile l’eût fait ou permis de le faire ; et si con-
venables, par exemple, que puissent être les incrustations qu’on y
applique, le meuble actuel manque forcément par les garnitures,
soit comme ciselure, soit comme modèle, et le plus souvent par
les deux raisons à la fois. C’est pourquoi, dans les expositions, le
Jury ne récompense plus guère cette branche quelquefois si
curieuse de l’industrie mobilière. L’an dernier, cependant, une
table exposée par la maison Roux et achetée par l’Empereur, a
obtenu la médai’.le d’or. Mais ce fut une exception. Elle était
belle, cette table. Je suppose que si les'juges se montrent là-
dessus circonspects et même avares, c’est dans la légitime crainte
d’encourager la masse inférieure des fabricants dans l’habitude
affreuse de ne plus du tout ciseler, ni même dorer leurs cuivres.
Dans beaucoup de leurs antres, en effet, une gratte boësse et du
vernis suffisent à tout l'embellissement.
La gratte boësse, ou gratte bosse, ou gratte brosse, est une
sorte de pinceau en fils de laiton avec lequel on frotte la pièce
sortie de la fonte, pour enlever les bavures du mouls et nettoyer
le métal. Un coup de lime sur les bords, une couche de vernis
qui s’appelle la mise en couleur sur le tout, et voilà du bronze doré
pour les idiots. C’est passablement voleur et impertinent. L’ou-
vrage un peu mie ux fait est doré véritablement, mais doré à la
pile; magnifique et noble invention, sans doute, puisque, de
même que les glaces à l’argent de M. Petitjean et de notre pauvre
Brossette, elle a délivré les doreurs, comme les miroitiers, de la
mort atroce par le mercure. Seulement, comme si les meilleures
découvertes n’étaient faites qu’au profit do la fraude, par cette
criminelle dorure au mercure on était sûr de posséder une cer-
taine quantité d’or, tandis que la pile dépose des atomes infinité-
simaux. Chez M. Désirabode encore, à côté de cette œuvre
divine de Gouthière et Riesener, j’ai vu une pendule en bronze
de Thomire, le noble et regretté Thomire, pièce large et capi-
tale dont la dorure est évaluée à douze cents francs. Avec cette
somme, la pile dorerait l’étalage de dix horlogers. Aussi du
temps de la dorure malfaisante et durable, cinq doreurs au plus
vivaient ; la pile à présent en enrichit trente. Une grande chose
. que la chimie.
Auguste Luchet.
(La suite au prochain numéro.)
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