Ornementation Usuelle
De Toutes Les Époques Dans Les Arts Industriels Et En Architecture
Forfatter: Rodolphe Pfnor
År: 1866-1867
Forlag: La Librarie Artistique de e. Devienne et Cie
Sted: Paris
Sider: 418
UDK: 745.04 Pfn
Søgning i bogen
Den bedste måde at søge i bogen er ved at downloade PDF'en og søge i den.
Derved får du fremhævet ordene visuelt direkte på billedet af siden.
Digitaliseret bog
Bogens tekst er maskinlæst, så der kan være en del fejl og mangler.
å
GO
QO
D
3
Dans cette partie de sa tâche, l’archéologue rencontre, il estvrai,
de nombreuses difficultés. Les monuments, auxquels les peuples
impriment fortement leur caractère, ont en général pour destina-
tion de transmettre aux âges futurs leurs dogmes, qu’ils croient
éternels; de perpétuer la mémoire de leurs hauts faits, et de don-
ner la mesure de leur force et de leur grandeur ; aussi sont-ils éle-
vés de manière à résister pendant des siècles aux ravages du temps
et des hommes. Il n’en est point de même des habitations privées,
presque toujours construites pour servir seulement à quelques
générations, et qui, subissant les influences les plus diverses,
puisqu’elles doivent répondre aux besoins de luxe et de bien-être,
au fur et à mesure du développement d’une civilisation, se trans-
forment complètement d’une période à l’autre. Tandis que les mo-
numents appelés à représenter les traditions* nationales restent
longtemps, principalement dans leurs dispositions générales,
pour ainsi dire étrangers aux variations qu’imposent aux con-
structions privées l’extension des relations sociales et le raffine-
ment des mœurs.
Loin de nous la prétention, en commençant cette série d’ar-
ticles, de croire qu’elle contribuera à combler la lacune que nous
venons de signaler. Il faudrait pour cela entreprendre une œuvre
de longue haleine bien au-dessus de nos forces; elle nécessiterait
un immense savoir, une érudition exceptionnelle, et la vie d’un
bénédictin y suffirait à peine. Cette partie de l’archéologie sera
tôt ou tard élucidée, nous n’en doutons pas, par de plus auto-
risés, et la critique historique en tirera sûrement un immense
profit.
Quant à nous, notre projet consiste à passer rapidement en
l’evue les documents recueillis jusqu’à présent sur cette matière,
afin d’en faire ressortir les conséquences et les éléments, dont
l’application pourrait tirer la décoration moderne de la voie ba-
nale où elle est engagée.
Nous n’accorderons dans cette esquisse qu’une part très-secon-
daire à la distribution et à la construction des habitations; nous
n’y toucherons qu’autant que certaines indications deviendront
nécessaires à l'intelligence de notre sujet. Nous nous bornerons
à exposer et à analyser les ressources et les moyens auxquels la
décoration de chaque période historique eut recours pour orner
l’habitation, lui donner sa véritable physionomie, c’est-à-dire
comme un reflet de ses habitants, et conserver le caractère propre
à chaque partie du logis.
Nous serons ainsi amenés à formuler quelques principes élé-
mentaires de l’art décoratif, trop souvent mis de côté par tous
ceux qui concourent à l’embellissement de nos demeures, et nous
essayerons de prouver à nos lecteurs que la pratique constante
de ces principes, jointe à l’observation scrupuleuse des habitudes
domestiques, des exigences du climat, des idées et des goûts de
leurs contemporains, procura aux décorateurs de ces différentes
époques l’originalité, si tranchée, qui nous émeut devant leurs
œuvres et nous transporte, presque malgré nous, parmi les
hommes et les événements de leurs temps. En examinant et en
comparant les interprétations variées de cet art si intéressant,
nous serons peut-être conduits à trouver les principes que nous
pourrions mettre en pratique, pour échapper à la monotonie et à
l’absence complète de méthode qui président à l’ornement de nos
intérieurs et nous délivrer des platitudes auxquelles nous con-
damnent, depuis si longtemps, l’ignorance et le mauvais goût.
Les civilisations anciennes et les siècles qui nous ont précédés,
étant éminemment favorables au développement de l’individua-
lisme, il était donc tout naturel que la demeure du particulier
portât au plus haut degré l’empreinte de sa condition, de ses
goûts et de ses penchants personnels. La société reposant alors
sur des divisions parfaitement caractérisées, se partageant en
classifications très-distinctes, les habitations comme les indi-
vidus pouvaient se réduire à un petit nombre de types répondant
aux divers ordres de l’organisation sociale. Pour n’en citer que
quelques-uns : tels étaient le palais ou le château du grand sei-
gneur, l’hôtel ou le manoir du noble, la maison du riche bour-
geois, celle de l’artisan, enfin la masure du paysan. Ces types,
plus ou moins nombreux, résumaient les habitudes et les idées
de chaque classe et présentaient, en outre, toutes les variantes
auxquelles pouvaient les soumettre le caractère ou le sentiment
personnel de leur propriétaire. De là une variété inépuisable de
nuances dans une unité commune. Ajoutons que chaque pays,
chaque province d’un même État possédant ses artistes, ses cor-
porations et ses écoles d’art, ne mettant en œuvre que les maté-
riaux de son propre sol, apportait dans ses constructions et dans
leur ornementation sa part d’originalité native et de traditions
locales.
Il n’en saurait être de même de notre temps, où l’individu tend
de plus en plus à s’effacer et à se perdre dans l’Etat. Les tradi-
tions provinciales n’existent plus, et d’une extrémité de la
France à l’autre, on se meuble et on se loge avec les produits
de l’industrie parisienne ou de quelques grands centres de
fabrication, ses tributaires et ses imitateurs. Le mobilier et la dé-
coration des intérieurs, aux différents degrés de l’échelle sociale,
se composent des mêmes éléments; leur qualité, leur richesse,
leur valeur seules, accusent la position de fortune des maîtres du
logis. Quelques rares privilégiés peuvent encore disposer et orner
leur habitation suivant leur fantaisie personnelle, la plupart doi-
vent recourir à l'industrie et n’ont que la ressource de choisir
parmi ses produits ceux qu’ils trouvent le plus à leur convenance.
Un grand nombre, dans les villes, sont contraints de s’installer
dans des logements dont la décoration banale a été exécutée
d’après les caprices de l’architecte, du propriétaire ou du précé-
dent locataire : artiste ou savant aujourd’hui, demain employé oh
commerçant retiré des affaires.
Cependant, il n’y a point là matière à regretter le passé ; car,
si l’industrie ne peut arriver à la perfection intelligente et au
charme de l’originalité, puisqu’elle multiplie à l’infini ses compo-
sitions par des moyens mécaniques, en revanche elle peut devenir
un puissant auxiliaire pour propager les notions du beau, les met-
tre à la portée de tous et n’en plus faire le privilège d’un petit
nombre d’élus. Mais elle ne pourra prétendre à remplir cette
noble mission que lorsqu’elle attachera la plus sérieuse impor-
tance et le plus grand discernement à la composition et au choix
de ses modèles, et lorsqu’elle aura contracté avec l’art une al-
liance étroite, en provoquant par son initiative la création d’un
enseignement artistique satisfaisant, et en contribuant à vulgari-
ser les connaissances indispensables à tous ceux qui lui prêtent
son concours.
A. DeLaRocque,
Archilecte.
R. PFNOR, Propriétaire-Directeur.
Paris. — Typ. Rouge frères, Dunon et Fresué, rue du Four-St-Germain, 43.