Ornementation Usuelle
De Toutes Les Époques Dans Les Arts Industriels Et En Architecture
Forfatter: Rodolphe Pfnor
År: 1866-1867
Forlag: La Librarie Artistique de e. Devienne et Cie
Sted: Paris
Sider: 418
UDK: 745.04 Pfn
Søgning i bogen
Den bedste måde at søge i bogen er ved at downloade PDF'en og søge i den.
Derved får du fremhævet ordene visuelt direkte på billedet af siden.
Digitaliseret bog
Bogens tekst er maskinlæst, så der kan være en del fejl og mangler.
§
LES ARTS PARISIENS.
LE MEUBLE
On lit clans le dictionnaire de Boiste, qui est encore un des
bons: «meuble, toutes qui sert à garnir, à orner une maison,
sans en faire partie. » C’est assez élastique. Ainsi donc, un tableau
est un meuble ; une statue est un meuble ; le lustre en cristal de
roche de la salle du Trône, à Fontainebleau, qui vaut deux cent
mille francs, est un meuble ; tous les bronzes, toutes les orfèvre-
ries, toutes les joailleries, tous les émaux, presque tous les mar-
bres, tout Sèvres, tout Dresde, toute la Chine, tout le Japon, sont
des meubles; meubles aussi les Gobelins, etBeauvais, etAu-
busson, et Saint-Gobain, et Saint-Quirin, et saint Louis, et Bacca-
rat, et les blancs miroirs à l’argent des Brossette, et les verres
gravés de Bitterlin. Que sais-je ! Toute la mécanique qui n’est pas
bâtie à briques et à ciment, est meuble. Une horloge est un meu-
ble, une locomotive est un meuble. Toute la musique aussi, et ses
instruments. Les livres ne sont que cela : romanciers d’Angle-
terre et de France, poètes géants, l’aconteurs colosses, Moïse,
Mahomet, Confucius, Shakespeare, Hugo, Dante, Goethe, pen-
seurs avec qui la nature a conversé, philosophes dans l’abstrait et
le concret, astronomes, voyageurs, naturalistes inventeurs de
mondes, historiens inventeurs de batailles, n’ont travaillé, n’ont
couru, n’ont souffert, n’ont médité, n’ont vécu que pour nous
meubler. Et encore les livres ne seraient pas même cela sans le
relieur, leur tailleur et leur bijoutier, qui les bat, les coud, les
colle, les rogne, leur met des images et les habille si richement
que plus jamais ceux qui les ont ne les ouvrent. Les armes sont
des meubles: ce qui tue comme ce qui fait naître; de même que
le berceau, comme la bière. Pour nous meubler on chasse les bêtes
féroces, on emprisonne et on éduque les bêtes domestiques. Jules
Gérard fut un tapissier de descentes de lit : meubles la peau du
lion, la peau du tigre, la peau de l’ours. Et la voiture étant un
meuble, meubles évidemment sont les chevaux qui la traînent, et
le chien, aboyeur servile, qui court devant les chevaux. Meuble
sur son bâton l’oiseau vert qui parle là-bas; meuble dans sa cage
l’oiseau jaune qui chante là-haut; meuble la belle esclave qui sert
aux plaisirs abrutis du sultan, meuble hier encore notre frère noir
qui pleurait et priait chez les Américains du Sud. Meuble le cru-
cifix, meuble la chaire ; meuble l’autel ; meuble enfin tout ce qui
n’est pas denrée, ballot, récolte pendante par racines, champ,
forêt, garenne, étang, château ou cabane, prison ou maison.
Tout dire serait trop, en vérité, et la besogne aurait plus que
lamesure du bras! Tenons-nous-en, pour l’heure, au meuble pro-
prement dit, ou meuble meublant, qui est le meuble en bois, le
meuble de Paris, tout au plus celui de Bordeaux, ou de Lyon, ou
de Nantes. Et ce sera du mal assez pour parler comme en Belgique,
un pays de grande sagesse, et bien meublé, quoiqu’on en babille
et s’en raille chez nous, sans jamais trop avoir su pourquoi.
Le style, c'est l'homme, disons-nous de ceux qui écrivent. Il y
aurait fort à voir là-dedans, n’en déplaise aux gens de Montbard,
qui jurent encore par M. de Buffon. Le meuble, c’est l’homme; voilà
qui vaut mieux, à mon avis. Laissons, bien entendu, à leur mé-
compte et, faute de pouvoir, à leur misère ceux qui durement et
nécessairement nichent et gîtent dans les meubles que la famille,
le voyage, le ménage, une maîtresse, un maître, le garni, le col-
lège, le commerce ou le hasard leur imposent. Parlons ici de
l’homme libre et de bonnes mœurs qui, de son vouloir et de son
choix, son propre argent à lui dans la poche, marche et marchande
par la rue de Cléry, les boulevards et le faubourg, en la solennelle
enquête d’un mobilier. Le faubourg, en ces mots, signifie fau-
bourg Saint-Antoine ; nul ébéniste ne l’appelle autrement. Au
bois de lit, aux clous des fauteuils que choisira cet homme, nous
devons pouvoir dire ce qu’il est ; habitué à l’opulence ou parvenu
tout frais, de Paris ou de la province, raisonnable ou viveur,
rentier ou artiste, homme d’esprit ou idiot. Marié, de même, ou
non marié. C’est sûr comme les gants, les breloques et la canne.
Allez plutôt voir à l’hôtel des Ventes; tout crieur vous dira qu’il
se fait fort, à chaque adjugé, d’écrire sur le bulletin l’état civil
de l’acheteur. On aime à vivre avec son semblable, c’est d’instinct;
massif ou plaqué, d’apparence ou de fond : analogiquement, ho-
mogénéiquement.
Le meuble, c’est aussi le temps, c’est l’époque. Qui ne saisit
les rapports qui se trouvent entre le défait des mœurs Louis XV et
le débraillé de leurs meubles? Qui ne verra tout de suite le rappel
impuissant et impossible aux antiques puretés républicaines dans
les lignes froides et rigides du mobilier du Consulat, caricature
en langue morte, continuée par l’Empire jusqu’au dégoût et à
.l’abrutissement? L’ameublement est le vêtement de la vie, me
disait un jour Mazaroz, un grand artiste de la fabrique ; on
montre dans ses meubles son goût et la qualité de son esprit :
cô sont la d irrocusablös témoins, accusateurs ou g'lorifica,t6urs de
qui los possède. Mazaroz a connu des jeunes gêns Qui ont mis
patiemment six ans à meubler leurs trois chambres de garçon,
aimant mieux se passer longtemps de commode et de lit que
d’avoir à toute heure le regard mis en pénitence par les lignes
banales et bêtes des affreuses boîtes en bois blanc sur lesquelles
on colle du bois rouge au lieu de papier ; simulacres indignes,
honteuses parodies de la bonne vieille ébénisterie parisienne,
dont un commerce inqualifiable infeste en notre nom la meilleure
moitié du globe. C’est de l’élégance à bon marché, disent déplo-
rablement les malheureux qui ont par démence le goût de ces
vilenies ! Double imposture, à mon gré; car de l’élégance je n’en
vois point trace en ces bahuts misérables, et où donc serait le
bon marché de meubles qu’on n’ose déplacer de peur de les
écorcher, et qui tombent en pièces dés que la colle, leur unique
attache, a perdu sa cohésion chétive? C’est couper effrontément
les petites bourses que de leur vendre de telles choses, et si
jamais nous en parlons, ce sera pour souhaiter de toutes nos
forces l’abolition d’une fabrication sans profit et sans honneur,
ruine pour ceux qui s’en servent, famine pour ceux qui la font.
Seul le marchand s’en tire, mais ce n’est pas lui qui nous importe.
Il va sans dire que ceci ne touche point au meuble plaqué
beau et bon. Celui-là aura, le temps venu, nos études et nos
hommages. Il est rare et difficile à faire ; ce sera donc une
raison de plus.
Mais d’abord voyons le meuble massif, dans ce qu’il fut et dans
ce qu’il est.
Un célèbre architecte, qui est de plus un savant et un écri-
vain, M. Viollet-le-Duc, a fait un répertoire du vieux mobilier,
ouvrage que le monde profane connaît peu ou point, ayant été
tiré à nombre sage et petit. Cet ouvrage abonde en renseigne-
ments précieux. Nous y avons puisé sans remords ; c’est où les
choses se trouvent qu’il faut nécessairement les prendre.