Ornementation Usuelle
De Toutes Les Époques Dans Les Arts Industriels Et En Architecture
Forfatter: Rodolphe Pfnor
År: 1866-1867
Forlag: La Librarie Artistique de e. Devienne et Cie
Sted: Paris
Sider: 418
UDK: 745.04 Pfn
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fabrication limitée, l’artisan et l’artiste, solitaires murés et éna-
mourés dans leur tâche, savaient presque toujours unir la solidité
de la façon à la recherche de la forme. A présent, ils ne le savent
ou ne le veulent plus. Sauf exceptions rares et précieuses, les
deux conditions se disjoignent : vous avez, en foule, l’apparent mal
fait ou le solide sous pauvre mine. Pourquoi? C’est la vitesse qui
le veut, répondant au peu d’argent qu’on y met. Devenus riches
du soir au matin, il nous a fallu l’opulence du matin au soir. A
bon marché et mauvaise durée : soit! Qui s’en est plaint? les
connaisseurs : combien sont-ils?
Par bonheur, l’excès porte la mort en ses flancs; et de celui-ci
porté à l’extrême nous pouvons, je crois, conclure à la renais-
sance prochaine des belles choses. M. Popelin lo croit aussi.
Tout y pousse, et déjà de grandes tentatives sont faites. La mau-
vaise marchandise s’avilit ; les instincts honnêtes s’en détour-
nent. D où ce mouvement? On ne le sait guère.La reconstruction
de Paris y est peut-être pour quelque chose. A demeure nouvelle
mobilier nouveau. Au buffet-étagère il faut de la vaisselle visi-
ble. D’argent? non pas encore,mais de terre.
Aussi la céramique est-elle de tous les moyens décoratifs celui
qui, à cette heure, affecte le plus de progrès. Est-ce parce qu’il
y entre du métal, en notre époque métallique? Est-ce parce que
le feu la produit, en ce temps de forges et de fournaises ? Tou-
jours est-il que la faïence revient. Or la faïence ne saurait se
passer de l’art. Du vase des rois jusqu’à l’humble écueils, il y faut
la forme et la couleur. Opaque ou transparente, terre ou verre, la
céramique est métier noble.
L’Italie, l’une de ses patries, lui a donné pour éleveurs Luca
della Robbia, Giorgio Andreoli, Cenzio, Xantho da Rovigo, et
les verriers de Murano. Leurs œuvres sont chères aujourd’hui, et
disputées comme des antiques. Les seigneurs d’alors s’en mê-
laient, y dépensaient, s’y mettaient ; ils venaient curieusement
voir chauffer et défourner. Le duc de Ferrare imposait les dessins
de Raphaël aux potiers de sa ville. Les majoliques servaient aux
cadeaux souverains. Venise offrait à l’empereur Frédéric III une
coupe en verre du Beroviero. Le Tudesque, il est vrai, répondit
qu’il aimait mieux de l’argent : affaire de nationalité peut-être ;
les Allemands, volontiers, nieraient la faïence italienne.
La France, selon Popelin, n’aurait eu qu’un homme dans la
faïence; c’est Palissy. Rouen ni Marseille, Nevers ni Strasbourg,
Moustiers ni Bordeaux, n’ont, dit-il, fait de l’art en leurs indus-
tries charmantes. C’est trop absolu pour être entièrement vrai :
j’en prends à témoin le livre de M. Lebroc de Segange sur les
faïenciers de Nevers. Au moins, dans la résurrection qui s’opère,
le maître difficile et grand nous accordera-t-il Pull, Pinart, Bou-
quet et Collinot.
Cette renaissance française de la faïence promet d’être cruelle
à la porcelaine décorée. Pauvres petites couleurs hasardeuses et
fugitives, que le f&u dénature, mais ne fixe pas ! Quel goût pour-
tant de peindre là-dessus des tableaux, et des portraits, où les
chairs sortent jaunes, où les méplats deviennent des fosses et des
bosses ! Le talent s’y perd en déceptions désolantes ; pourquoi
donc y persisterait-il ? A la faïence désormais, ces pinceaux inuti-
lement braves ! Voilà qui les vaut, j’espère. Le fier émail cru les
défie, lui qui n’attend personne et ne souffre pas de retouches ;
lui qu’on n’aborde qu’à main levée. A la faïence, et sa gamme
étroite de couleurs indestructibles, qui font si gaiement les mers
violettes et les arbres bleus ! Toute fantaisie, du moins, peut se
risquer dans cet impossible : tout caprice trouve à s’y régaler.
C’est l’amusement du dressoir et l’éclat de rire du couvert. Re-
tournez, pâtes dures et pâtes tendres, à votre blancheur imma-
culée. Perdez-vous, neiges solides, dans le cristal, la serviette et
la nappe. L’émail sur métal veut renaître aussi, sublime appli-
cation de la peinture vitrifiée, dans laquelle non plus rien d’il-
lustre ne s’était fait depuis les Pénicaud, les Courteis, les Léo-
nard, les Jean Fouquet, les Clouet. Après ceux-ci, que nul ne
surpassa, les Nouailher sont venus, et les Laudin ; mais que fu-
rent-ils en comparaison? Puis des faiseurs de pastiches indi-
gestes, indignes brocanteurs, fraudeurs, manufactureurs et con-
trefacteurs des choses saintes, fabriquant à l’envi du faux vieux
qu’on vendait très-bien cependant, à cause ou malgré que ce fût
horrible.
Aujourd’hui, le métier se remplit de gens honnêtes et habiles
qui copient à merveille, mais qui copient. O le beau temps des
copistes en toutes choses ! Le livre de M. Popelin voudrait ar-
demment que l’on copiât moins. Hélas! l’auteur y prêche avec
amour et vigueur la reprise laborieuse des traditions de ce
grand émail royal, venu au monde en France, à ce qu’il assure, et
non pas à Cologne, comme les Allemands se complaisent à s’y
tromper; et nous avec eux. Vieil art qui eut Limoges pour ville
natale, opus Lemovici; que saint Éloi, apprenti limousin, apprit
sans doute de l’orfévre Obbon, son maître, et probablement trans-
mis à Théau, son disciple, baptisé Oculi dans la complainte bouf-
fonne...
Les autres émaux sont industriels et de tous pays : de l’Orient
surtout et de la Chine ; émaux cloisonnés, émaux champlevés ;
mais l’émail dit des peintres, directement appliqué sur une feuille
de métal, ainsi qu’on fait des couleurs à l’huile sur une toile bitu-
mée, cet émail excellent, et immarcessible, comme l’appelle
Théophile Gautier, celui-là, répétons-le avec orgueil, est fran-
çais et de Limoges.
Et de même qu’il prêche, le beau donneur d’exemples ensei-
gne, en une langue pleine de 'science, de forme, de charme et
d’originalité. Son traité de l’émail amuse et saisit comme une
rabelaisienne légende. Tout y est : les cinq métaux, or, platine,
argent, cuivre et fer; leur choix, leur préparation ; l’emboutis-
sage des plaques, le repoussé, la ciselure (on n’est pas bon émail-
leur si l’on n’est un peu orfèvre) ; le décapage ou dérochage, qui
est de la chimie ; la fabrication des supports ; la composition des
émaux et leur coloration, nouvelles et anciennes : car, de même
que le vrai peintre devrait savoir faire ses dessous, et ses pin-
ceaux, et ses couleurs, il convient que l’émailleur complet soit
son propre ouvrier, du commencement à la fin : puis la construc-
tion des fours, leur aération, leur orientation ; la connaissance et
le choix des combustibles ; les difficiles manœuvres de l’en-
fournement et du défournement. Tout enfin, je vous le dis,
moins le talent et surtout le génie, qu’on peut posséder un jour
quand on est M. Popelin, mais qu’il n’est donné d’enseigner à
personne.
Oh ! ce ne sont pas les méthodes qui manquent. Il manque le
désir, l'ardeur et la volonté... Quø fais-tu donc de tes belles an-
nées, jeunesse ? Auguste Luchet.
——
5=
—
R. PFNOR, Propriétaire-Directeur.
Paris. — Typ. de Rouge frères, Danon et Fresné, rue du Four-St-Germain, 43