L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
LA TOUR DE 300 MÈTRES
La Tour Eiffel présente, au point de vue
descriptif, un caractère spécial qui n’est
pas la moindre de scs originalités. Il
semble toujours que l’on a tout dit sur ce
curieux monument, et il reste toujours
quelque chose à dire. M. Janssen vient
de nous le montrer une fois de plus, dans
le beau discours qu’il a adressé à M. Eiffel
lors do la réunion do la conférence
« Scientia » ; il a indiqué tous les usages
scientifiques divers et variés auxquels
peut se prêter un pylône de 300 mètres
de hauteur élevé dans l'enceinte de Paris.
Dos laboratoires vont s’installer sur le
sommet, laboratoires bien outillés, peu-
plés d’observateurs consciencieux cl sa-
vants. On ne risque guère d’ètre mauvais
prophète en annonçant que ces hommes
de science passeront tout naturellement
d’une recherche à une autre, l’une suggé-
rant la suivante, et que les « Annales de
l’Observatoire de la Tour de 300 mètres »
nous réservent dos surprises.
Nous ne saurions anticiper sur ces
travaux dont M. Janssen, lui-même, n’a
pu indiquer, à l’heure actuelle, que les
grandes lignes. Mais il y a encore un
certain intérêt à revenir en arrière pour
répondre à des questions que chacun
sc pose tout naturellement et dont on
n’obtient pas aisément la réponse.
Comment s’étudie et sc construit un
colosse métallique de cette sorte? Pre-
mière et importante question.
C’est ici que l'art moderne do nos in-
génieurs intervient avec toute sa valeur.
Le principe consiste à assembler rigou-
reusement ensemble, dans des conditions
do précision parfaites, une quantité pro-
digieuse de petits éléments métalliques
de résistance parfaitement connue et dé-
terminée. Peu ou pas de grosses pièces :
c’est avant tout une œuvre dt patience
que l’on accomplit.
Los grandes lignes de la construction
étant déterminées, chaque gros tronçon
de l’édifico est tout d’abord calculé dans
les conditions ?cs plus défavorables aux-
quelles son poids, sa charge et la dange-
reuse force extérieure du vent peuvent le
soumettre. Il sera ensuite composé de
petits éléments en métal assujettis entre
eux, cousus en quelque sorte par des
clous en fer ou rivets, avec ccttc condi-
tion essentielle que renscmble assujetti
réponde, et au delà, à la condition pri-
mordiale de résistance au renversement.
La Tour, dans son ensemble, est la résul-
tanteà une multitudede forces intérieures
et extérieures géométriquement combi-
nées.
Il suit de là que l’on n’a pas besoin de
calculer un par un, comme le public le
croit généralement, tous les éléments
d’une pareille œuvre. Un grand calcul
préliminaire suffit. On sait, dès lors, que
pour arriver à donner à telle partie de
l’ouvrage telle dimension, il convient de
la former de tant de pièces de longueur,
d’épaisseur cl de résistance uniforme,
provenant de la forge. Le calcul propre-
ment dit en X, en Y et en Z, a donc un
rôle relativement restreint dans l’exécu-
tion proprement dite : il ne fait que suc-
céder pour un temps à la conception pre-
mière, et dès que le profil général est bien
arrêté, la pratique ctl’expérience acquises
dans les travaux analogues antérieurs
deviennent les grandes directrices de
l’œuvre.
On dessine beaucoup, on calcule rela-
tivement peu pour construire une tour
do 300 mètres. C’est aux méthodes de la
statique graphique que recourent sur-
tout nos ingénieurs. Ces méthodes con-
sistent à représenter par des longueurs
proportionnelles à leur valeur, sur des
épures, les forces prévues par le calcul
initial. La dimension à donner aux pièces
en résulte, matérialisée, définie, appa-
rente aux yeux. C’est ainsi que l’on aura
exécuté, pour la Tour Eiffel, 500 dessins
d’ingénieurs cl 2,500 feuilles do dessins
d’ateliers : une montagne de dessins a
préparé la montagne de fer du Champ do
Mars.
Cos constructeurs précis, dontla France
s’honore à juste titre, ont entièrement
renoncé à la méthode ancienne encore
fort usitée à l’étranger et qui consiste à
faire venir sur lo chantier des fers d’un
modèle commercial déterminé, puis à
tailler dedans, en pleine matière, les
éléments nécessaires à la construction
des diverses parties de l’ouvrage. Les
forges situées au loin — c’étaient pour
la Tour Eiffel nos belles et intéressantes
forges de l’Est — envoient dans l’usine
île Levallois-Perrct les fers déjà forgés
et, en quoique sorte, taillés sur mesure,
d’après les minutieuses épures du bureau
des études. L’usine de Levallois les trace,
les coupe et les perce avec un soin
extreme : sur lo chantier il n’y a plus
qu’à faire l’assemblage.
Le travail des traceurs, à l’usine, c’est-
à-dire des ouvriers spéciaux chargés
d’indiquer exactement le contour extrême
des pièces et l’emplacement des trous de
rivets, est un travail extrêmement curieux.
C’est le triomphe de la précision : une
erreur Xim dixième de millimètre dans
remplacement d’un trou peut mettre
toute la pièce hors de service. Aussi y
regarde-t-on de près : aucune dimension
respective ou cote n’est mesurée; toutes
sont calculées par logarithmes au dixième
de millimètre: M. Eiffel et ses ingénieurs
sont intraitables sur ce point.
Il en résulte celte conséquence singu-
lière que l’usine de Levallois-Perret, de
laquelle sont sorties, dans cos derniers
temps, les constructions métalliques les
plus colossales du monde entier, n’est,
par elle-même, ni colossale, ni bruyante.
Son aspect est inattendu.
Il nous souvient d’y avoir été convoqué,
en bonne compagnie de membres de
l’institut, afin d’examiner la merveilleuse
coupole commandée à M. Eiffel, pour
son Observatoire de Nice, par M. Bi-
schoffsheim. i
Au loin sur lo chantier, lors de notre
arrivée, s’incurvait l’imposante carapace
de fer, hémisphérique, de 23 mètres de
diamètre et de 100,000 kilogrammes de
poids. L’impression était grandiose : elle
s’accentua encore, lorsque l’on put péné-
trer à l’intérieur sous cette voûte de
métal qu’un mécanisme ingénieux faisait
tourner sans bruit au-dessus de la tête
des visiteurs. Quelques-uns d’enlre nous
demandèrent à visiter l’usine près de
laquelle so trouvait celte merveille et
dont elle venait de sortir : pour être sa-
vant, on n’en a pas moins conservé, par-
fois, quelque levain de poésie. M. Eiffel
accorda gracieusement, scion son habi-
tude, la permission de tout visiter, et la
déception fut complète. Ni haut fourneau
vomissant la flamme, ni marteau-pilon
faisant jaillir du métal incandescent des
gerbes d’étincelles ! Rien que de grands
ateliers calmes avec beaucoup de barres
do for dedans, entassées, des machines-
outils à percer, à cintrer, à aléser, bien
simples. Pas de Cyclopes, pas d’efforts
prodigieux capables de faire frémir ! Dans
les annexes d’une maison de campagne
propre et riante, le bureau des études
travaillait silencieux sous la direction de
scs ingénieurs, MM. Nouguier, Kœchlin,
Gobert, les dignes lieutenants de M. Eiffel.
Nous avons revu depuis l’usine Eiffel
au moment du grand « coup de feu » de
la construction de la Tour, alors que
l’œuvre cyclopéennc semblait jaillir du
sol d’un jet ininterrompu et grandir à vue
d’œil. C’était le même calme, la meme
absence de bruit et d’agitation. Et c’est
de ccttc tranquillité non seulement appa-
rente, mais réelle, que la Tour de 300 mè-
tres est sortie : elle a tout entière passé
par ces ateliers paisibles, elle est née
dans ce bureau d’études pensif. Le con-
traste est frappant.
M. Eiffel possède, avant tout, cette
qualité maîtresse des grands construc-
teurs modernes : la centralisation et la
méthode. Remarquable mettcur en œuvre,
il est bien le centre moral autour duquel
s’agitent et sc résolvent les grands pro-