L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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138 L’EXPOSITION DE PARIS
L’ARCHITECTURE
A L’EXPOSITION UNIVERSELLE
Comme la musique, l’architecture est
un art fermé, un peu mystérieux, un art
qui s’exprime dans une langue dont la
technicité effraie, un art dont la foule
ignore les dessous, la cuisine, et dont la
grammaire — inconnue des profanes —
rebute et ennuie les hommes du monde
les plus ouverts aux manifestations in-
tellectuelles. Aussi est-elle traitée en
Cendrillon par les criüqucs quila laissent
carrément de côté ou lui accordent, de
temps en temps. — dans des circonstances
extraordinaires, — une parole de com-
misération. Eux qui sont compétents
quand il s’agit de parler (Tun livre, (rime
pièce, d’un tableau, d’une statue, ne
s'élèvent guère au-dessus du niveau du
public dès qu’ils se trouvent devant un
monument : ils jugent à la bonne fran-
quetle, sans s’appuyer sur aucun raison-
nement, se laissant aller à leur impres-
sion première, louant ou attaquant de
chic et, quatre-vingt-dix fois sur cent,
admirant une anivre parce que le cons-
tructeur a empilé une quantité formi-
dable de pierres les unes sur les autres,
ou simplement parce que « c’est haut ».
Je ne citerai, comme preuve de cette ma-
nière d’apprécier, que les enthousiasmes
hors de propos pour l'Hôtel des postes,
le monument à Gambetta, la gare Saint-
Lazare, qui insultent au goût le plus élé-
mentaire dans le Paris de Notre-Dame,
du Louvre, delà fontaine de Bouchardon,
du Ganle-Meublßs et d’autres merveilles
de la même valeur.
11 ne faudrait pas tomber dans cc tra-
vers au sujet de l’Exposition universelle.
Les travaux qu’on y exécute sont la résul-
tante d’une poussée intellectuelle si puis-
sante, si générale, qu'il serait fâcheux de
ne pas l’analyser et de contempler celte
ville de Titans sans raisonner son admira-
tion. Or, sans se perdre dans des études
arides et longues, rien n’est plus facile,
avec un peu de réflexion, que de com-
prendre la portée particulière, très carac-
téristique, de l’évolution architecturale
qui s’opère en ce moment au Champ de
Mars.
On s’est longtemps plaint que le xixe
siècle n’oût pas de style personnel. Fondé
jusqu’à un certain point, ce reproche va,
je le crois, tomber aujourd’hui dans le
vide. Empêtrés dans les formules classi-
ques dont l’École des Beaux-Arts lient
boutique, que l’État chérit et que l’insti-
tut conserve précieusement, — comme
le fou sacré de Vesta, — les architectes,
même les plus distingués, s’étaient, à de
rares exceptions près, stérilisés dans des
efforts inutiles ot énervants. Mais il existe
quelque chose déplus fort que les sectes,
los préjugés, les traditions, le parti pris,
c’est la nécessité, cette force aveugle et
brutale avec laquelle on ne discute pas.
Quand il a fallu résoudre les multiples et
compliques problèmes soulevés par la
i construction d’une Exposition Universelle
comme celle de 1889, on a bien été obligé
de jeter au panier les formules empi-
riques qui tombaient en putréfaction et
d’abandonner une esthétique démodée
inapplicable au inonde moderne. A des
besoins nouveaux dos formes nouvelles.
Et alors on a mis courageusement la
cognée dans la forêt séculaire : plus de
colonnes qui encombrent, plus d’épaisses
maçonneries qui arrêtent la circulation,
plus de frontons inutiles, plus d’entable-
ments qui écrasent, plus de coupoles en
pierres massives, plus de scolastique pré-
historique, plus d’entraves pédantes au
bon sens et aux besoins d’un peuple. Au
lieu de ce fatras tyrannique et étroit, des
armatures de fer laissent librement passer
la lumière et l’air, des points d’appui
élégants n’ayantque l’équarrissage mathé-
matiquement nécessaire à la résistance
et à la stabilité, des dômes audacieux,
s’élevant, sans efforts, de quarante et de
cinquante mètres dans l’air, des portiques
spacieux dont les supports graciles et
largement espacés ne gênent ni la vue, ni
la marche.
C’est plus qu'une évolution, c’est une
révolution.
Est-ce à dire qu’aucune tentative n’avait
encore été osée dans se sens? Évidem-
ment non. Des modifications de cette im-
portance ne s’opèrent pas en quelques
mois elles styles ne changent pas comme
un décor de féerie au Châtelet.
En 1867 et en 1878 on était déjà entré
dans la voie indépendante que je signale.
Mais les ingénieurs s’étaient seuls aven-
turés et le chaudron de 1867 ne brillait
pas précisément par les qualités artisti-
ques. A la dernière Exposition univer-
selle, les architectes s’étaient un tantinet
enhardis; et ils avaient essayé d’agré-
menter de coups de crayon et de pinceau
la maussade tôlerie de leurs frères enne-
mis les faiseurs d’j?. Avec quelle timidité,
il est vrai, s’étaient-ils attelés à la beso-
gne! Celte fois, imitant le chien du jardi-
nier, les architectes ont rnis de côté leur
bouderie intempestive ot, se jetant har-
diment dans la lice, ils ont produit une
admirable œuvre d’ensemble qui arrête
et précise, ainsi qu’un éclatant manifeste,
des notions architecturales jusqu’ici
vagues et confuses.
Sans croire à la création d'une courbe,
— comme l’écrivait récemmentun inspec-
teur des Beaux-Arts candide qui no se
' doutait pas que la ligne de courbure
<1 une ferme métallique n'est nullement
fantaisiste, mais bien imposée par le cal-
cul, par le tracé de l’épure, — on doit
reconnaître que nous voyons enfin un
monument totalement affranchi de Fin-
fluence grecque, romaine, gothique,
renaissance ou xvnie siècle. En comparant
les palais du Champ de Mars à la .Made-
leine, à la Sainte-Chapelle, à Versailles, à
l’Opéra, on ne découvrira aucune simili-
tude entre ces différentes constructions
et celles qui s’élèvent vis-à-vis du Tro-
cadéro. La colonne et le pilastre, sans
lesquels il semblait impossible d’avoir
une façade monumentale, ont brusque-
ment disparu; le sempiternel et mono-
tone entablement est remplacé par un
couronnement à la silhouette mouvemen-
tée; les fenêtres, aux proportions despo-
tiquement imposées, sont devenues des
verrières aussi larges que cela est néces-
saire; les portes se sont transformées en
vastes baies sous lesquelles la foule cir-
cule à l’aise sans craindre l’écrasement ;
tout en conservant son harmonieuse élé-
gance, la construction, loyalement accu-
sée, montre sa puissance et sa force;
l’extérieur laisse deviner la destination
de l’intérieur; le plâtre ni la brique ne
dissimulent plus, sous un mensonger
décor, le métal qui, vainqueur d'un pré-
jugé imbécile, reçoit la consécration offi-
cielle de l’art monumental ; les parties
d’élévation qui ne supportent que leur
propre poids, — les remplissages, — no
sont plus alourdies par des enduits, mais
décorées par des terres cuites laissant
suivre de l’œil les lignes de l’ossature
générale, tout en rompant runilbrmité
des surfaces métalliques et coupant la
rigidité de la perspective. L’industrie
contemporaine, si riche pourtant et si
parcimonieusement mise jusqu’à présent
à contribution dans la construction, a été
cette fois appelée à jouer un rôle prépon-
dérant dans la décoration : les stafs, les
faïences, les laves émaillées, les briques
teintées, les tuiles vernissées, les zincs
laqués, les enduits colorés, employés à
profusion dans ces palais féeriques,
jettent une chatoyante et étincelante pou-
dre d’or sur l’ensemble qui, sous le soleil,
rit et pétille ainsi que le vin de France.
Remarque intéressante : des trois ar-
chitectes chargés des constructions au
Champ de Mars : M. Formigé pour le
Palais des Beaux-Arts et des Arts libé-
raux, M. Bouvard pour le Palais des In-
dustries diverses, et M. Dutert pour la
Galerie des Machines, — c’est le grand
prix de Rome. AI. Dutert, qui est le plus
franchement dans la voie révolutionnaire
et qui a jeté avec le plus d’entrain,
par-dessus la Tour Eiffel, les souvenirs