L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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LO
L’EXPOSITION DE PARIS
LE THÉÂTRE ANNAMITE
Décidément le Tonkin a conquis la
France : des garnisaires au teint jaune,
aux yeux bridés et aux pommettes sail-
lantes, montent la garde aux portes des
palais de l’exposition des Invalides; les
Parisiens fascinés se bousculent autour
d’un peintre indo-chinois, étendant sur
le calicot des couleurs éclatantes ; on
redoute une grève de cochers? — vite les
pousse-pousse circulent et s’apprêtent à
remplacer les fiacres traditionnels ; les
théâtres songent à fermer ? belle affaire !
la comédie annamite n’est-elle point là?
Même, sans quitter l’Exposition, on trou-
verait, sans grand effort, de quoi se loger,
s’amuser, manger, boire, dormir, prier,
rire et le reste à l’annamite ou à la tonki-
noise.
C’est une chose à remarquer que les
peuples vaincus par la France ont, de
tout temps, exercé sur elle une irrésistible
séduction. L’engouement des chinoiseries
nous a pris à la suite de nos campagnes
d’extrême Orient, comme les expéditions
d’outre-Rhin nous avaient, au début du
siècle, inoculé le romantisme et la rêverie
allemande. De Malplaquet nous rappor-
tons la chanson de Marlborough, et, des
guerres de Charles VIII, le goût de l’ar-
chitecture italienne et le germe de toute
notre Renaissance.
Tristes conquérants d’ailleurs que ces
indolents Annamites; rien ne semble
devoir leur causer d’étonnement, et le
docteur Harmand qui, mieux que tout
autre et avant tout autre, a parcouru
leur pays, raconte que, lors de son pre-
mier voyage, les choses qui frappent
ordinairement les sauvages, c’est-à-dire
le fusil, le revolver, la lorgnette, un
aimant, ne produisaient absolument sur
les Annamites aucun effet, meme lors-
qu’on attirait fortement leur attention :
ils se contentaient de murmurer avec une
expression marquée de dédain : « Bo hou
tiac ! Nous ne connaissons pas cela! »
Bohou tiac! c’est bien ce qu’ils ont
l’air de dire, ces pauvres dépaysés qu'on
voit, debout sous le portique des pagodes
en plâtre peint, ou accroupis, le menton
dans la main, entre les brancards de leurs
carrioles à deux roues. Ils n’éprouvent
pour la foule qui les entoure qu’un sen-
timent d’indifférence absolue, et les
curieux qui se tassent pour guetter le
moindre de leurs mouvements
Sont tous, devant leurs yeux, comme s’ils n’étaient pas!
L’Exposition, les dômes, la coupole d’or
des Invalides, cette royale pagode où
repose le grand mandarin de France, nos
théâtres où on les a conduits, Paris où
onlcs promène, tout cela, Bohou tiac! et
ils l’estent là, suivant dans le ciel, d’un œil
d ennui, quelque vol de cigognes imagi-
naires. Aussi la surprise fut grande quand
le Théâtre Annamite adonné, l’autre soir,
devant la presse, sa première représenta-
tion. Un vacarme extraordinaire, — c’est
le prélude. La mélodie ressemble assez à
celicque produirait une batterie de cuisine
dégringolant des escaliers : les tam-tams
tempêtent, les gongs tonnent, les trom-
pettes gémissent, la ferraille frémit, le
violon grince... Une portière se soulève,
et un homme, — un monstre à masque
impassible, à barbe traînante, — se pré-
cipite sur la scène : il ne hurle pas, il
râle ; il ne gesticule pas, il se tord ; et
tandis qu’il se démène à vouloir couvrir
le déchainement de l'orchestre, une
inquiétante et formidable grosse caisse
scande de coups répétés cette ahuris-
sante déclamation.
Un second personnage se présente; et
ce sont les mêmes contorsions, les mêmes
hurlements ; un cortège traverse la scène
en agitant des drapeaux et des parasols
chinois d’une richesse inouïe... puis c’est
une bataille où les lances se mêlent, où
les larges sabres, recourbés à l’orientale,
trancheni les tètes au masque peint. Les
cadavres jonchent le théâtre, le vacarme
redouble, un grave régisseur en robe
noire s avance au bord de la scène et pro-
nonce quelques mots : entr’acte.
Et là-haut, dans les galeries qui entou-
rent la salle, court comme un long mur-
mure : je me retourne, quel tableau !
Tous les Annamites, hommes ou fem-
mes, tous les Tonkinois à chignon noir,
sont là, massés e,n haut des gradins, for-
mant les plus pittoresques groupes, ajou-
tant à ce spectacle inouï d’exotisme, une
note de couleur locale d’une inoubliable
intensité. Ils suivent, eux, de leurs petits
yeux, grands ouverts, les invraisembla-
bles aventures du roi de Duong Ly-Tieng-
Vuong; leurs visages parcheminés s’éclai-
rent, leurs traits impassibles s’animent :
ils se poussent du coude, et tout bas, se
communiquent leurs impressions.
Ils sont tous venus, du reste, les habi-
tants des villages coloniaux : graves
Ai’abes en longs burnous ; Tunisiens à
moustache noire, en petite veste claire;
Sénégalais, dont on ne distingue, dans
la pénombre, que les yeux brillants et les
dents blanches ; Canaques à cheveux
crépus et au large rire ; Javanais ébahis
et timides, à la face jaune et imberbe...
et tous, remplissant le promenoir du
théâtre, groupés contre les colonnes en
bois, découpées à Ja chinoise, juchés sur
les meubles aux fines sculptures, assis,
les jambes pendantes, sur les balustrades,
impassibles, le cou tendu, mettent là
comme un de ces tableaux où l’on voit,
dans des architectures de fantaisie, s’en-
tasser des foules bigarrées, œuvre de
quelque Véronèse oriental.
Et les toiles relevées, à cause do la
grande chaleur, montrent au dehors un
ciel pi ofond de nuit des tropiques : les
minarets se découpent sous la claire
lumière des lampes électriques, nichées
dans les Ouillages ; les flèches contour-
nées des pagodes blanchissent dans l’om-
bre. Où sommes-nous ? à Pékin, à Tunis,
à Yeddo, à Java?... Cotte etoile inconnue
qui, là-bas, au-dessus des dômes et des
palais blancs, brille comme un phare
mystérieux et change de couleur, n’est-
ce pas la croix du Sud ?... C’est un rêve !
Mais le vacarme recommence, le spec-
tacle continue : cette fois, l’infortuné mo-
narque dont on nous représente les aven-
tures est obligé de fuir dans la plaine ;
son ennemi le poursuit : un figurant se
présente, il tient d’une main une torche
de pétrole, de l’autre une bouteille d’eau-
de-vie, dont il boit à même une large
lampée. Ses joues se gonflent, il s'accrou-
pit, et, tout à coup, à un signal du régis-
seur, il souffle l’alcool sur la flamme de
sa torche ; la scène s’enflamme, le feu
retombe en poussière lumineuse : ce va-
porisateur d’un nouveau genre, celte
mise en scène d’une simplicité antique,
est le point culminant du drame : cela
veut dire que 1 es ennemis de Ly-Tieng-
Vuong, renonç mt à le poursuivre, incen-
dient la lande dans laquelle il s’est réfu-
gié; on le vo t, du reste, dans un coin du
théâtre, ce Malheureux monarque, se tor-
dant de douleur, avec sa suite, et imitant
les contorsions d’un homme on train de
rôtir. J’avoue que je n’aurais pas compris,
sans le livret qu’on avait pris soin de nous
distribuer, toute l'importance de ce dra-
matique incident.
Alors le roi, dépouillé de son riche
costume, les cheveux dénoués et flot-
tants, erre à l’aventure, sans suite, sans
mandarins, sans armée, jusqu’à ce que
son fils adoptif, un très courageux jeune
homme qui a de belles plumes sur la tête,
le débarrasse enfin de ses ennemis et lui
rende un peu de tranquillité et de calme
dont il doit avoir grand besoin.
Telle est, esquissée à grands traits, cette
pièce étrange dont nos confrères cher-
cheront peut-être à dégager une esthé-
tique théâtrale quelconque. Nous n’avons
voulu montrer que le côté extérieur de ce
spectacle et résumer l’impression qu’il a
produite sur les assistants. Rien n’a été
négligé pour assurer le succès de cette
curieuse exhibition; les costumes, véri-
tables merveilles de soie et d’or nuancés,
sont d’une richesse à faire rêver ; les ac-
teurs, qui répondent aux noms de Tlio,