L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
PSYCHOLOGIE EXOTIQUE
Un des quartiers les plus visités de
l’Exposition est cette dépendance de l’his-
toire des habitations où les gens de cou-
leur sont campés sous la toile, sous le
roseau, dans la paille et dans la bouse de
vache.
Petits et grands veulent aller voir les
« sauvages ».
Les sauvages ! Est-il bien sûr qu’ils
soient le spectacle et nous les specta-
teurs ? Ne renversons-nous pas naïvement
les rôles à notre profit, avec cette vanité
blanche qui n'a probablement d'égale que
la vanité nègre ?
Voilà une grande semaine que je passe
dans cette compagnie exotique : les jours
pairs avec des hommes noirs, les jours
impairs avec des hommes jaunes, et ma
conviction est encore flottante. J’opine
pourtant à croire que ces sauvages sont
les regardants et nous les regardés. Dans
ce cas. leur poste d’examen est bien meil-
leur que le nôtre. Accoudés à leurs clô-
tures, comme à un balcon de loge, ac-
croupis, les yeux brillants, dans l’ombre
des paillettes, ils nous observent, eux,
dans notre cadre accoutumé, à l’état do
liberté et de nature. S’ils ne griffonnent
point leurs remarques sur des carnets de
reporter, c’est qu’ils ont, sous les ti-
gnasses crépues, des tablettes vierges où
l’observation s’écrit rapide, ineffaçable.
Ce sont ces notes-là que j’ai tâché de
recueillir et. que je vous apporte telles
quelles, par lambeaux, comme ces docu-
ments d’épaves que l’on retrouve dans
des bouteilles, à la mer.
Si jamais vous vous êtes promenés, de
nuit, à des lieues de Paris, dans la cam-
pagne, vous avez été surpris de voir
quelle clarté la grande ville fait au-dessus
de ses toits, dans le ciel.
Cette lueur-là, on l'aperçoit du bout
du monde. Los plus humbles des ôtres
créés à face humaine, les plus près do la
vie des bêtes et des arbres, savent qu’il
y a quelque part une cité merveilleuse,
habitacle d’hommes supérieurs, bienheu-
reux. Et de ces confins de la terre, la
vision de Paris est resplendissante, un
peu terrible, comme un rêve de pa-
radis.
Vous n’imaginez pas ce qu’il leur a
fallu d audace personnelle, à ces « sau-
vages » de la place des Invalides, pour se
mettre en route, sur la foi des blancs.
Leurs amis les ont vus partir avec cette
épouvante qui jadis fit trembler le cœur
des vieux Hellènes, quand, sous leurs
yeux, les Argonautes s’embarquèrent sur
« l’oiseau aux ailes de toile » pour la
terre des enchantements. Eux-mèmes,
les voyageurs, emportaient la mort dans
leurs âmes.
Je me souviens que le directeur de la
mission malgache, qui a visité Paris, il
y a trois ans à peu près, me mit, à ce
moment-là, en rapport avec les « Hon-
neurs » Hovas. C’étaient des diplomates
fort habiles. Ils portaient l’habit noir, le
claque et les souliers vernis, avec une
distinction tout à fait surprenante. Mais
ils avaient amené un sorcier. Et, le soir,
dans leur appartement du Grand-Hôtel,
les portes soigneusement verrouillées,
ils répandaient l’eau lustrale. Paris leur
était apparu comme une ville de sortilèges
redoutables. Ils faisaient des conjurations
pour dissiper l’enchantement dont ils se
croyaient prisonniers.
Jugez d’après cela quel doit être l’état
d’esprit des petites gens, de la menue
monnaie noire, que l’on décide au voyage.
— Croiriez-vous, me disait le barnum
du Concert Algérien, que les Ouled-Naïds
ne voulaient pas m’accompagner dans la
crainte do manquer d’eau ? On leur avait
affirmé que l’eau était très chère à Paris :
« Vous ne pourrez pas nous en donner,
disaient-elles, autant qu’il nous en faut
pour notre soif et nos ablutions. » J’ai dû
m’engager par contrat à fournir l’eau pour
le bain et pour la table. On a spécifié le
nombre des mesures.
Aujourd’hui, ces pauvres gens sont
édifiés sur l’abondance de nos fontaines.
Ils marchent ravis au milieu des eaux
chantantes, incendiées, comme des pèle-
rins à qui Mahomet aurait cntre-bâillé,
pour une heure, la porte de son paradis.
C’est ainsi que, le soir de l’inauguration,
j’ai coudoyé, en face du bassin des jets
d’eau changeants, une bande de superbes
Africains qu’un employé des Colonies
menait en laisse. Immobiles comme du
bronze, les yeux hors de la tête, ils con-
templaient le miracle. A la fin ils se pen-
chèrent les uns vers les autres en chu-
chotant. Le plus noir, qui bredouillait
quelques mots de français, demanda au
gardien :
— Comment c’est, ça ?
Il n’aurait pas été fâché, le bon nègre,
de connaître le verbe magique qui fait
ainsi jaillir de terre des eaux d’or, d’ar-
gent et de pourpre. Il se voyait déjà ac-
complissant le prodige, au pays, devant
sa tribu prosternée. — Mais avec un
sang-froid que j’admire encore, le gardien
répondit :
— On ne comprend pas. C’est celui qui
a inventé qui sait.
« Tabou » l’arc-en-ciel des eaux, « ta-
bou » l’Opéra, « tabou » la féerie des
nuits illuminées. Sur la natte deBoubou-
Penda, le « griot » (chanteur) sénégalais,
tandis que nous causions théâtre, j’ai
compris l’état d’esprit de ceux que Fex-
tase ravit pour une heure au ciel et qui
après, redescendus parmi les hommes,
racontent leurs visions. Boubou-Penda
n aqu unregret : on ne le croira pas quand
il retournera au pays, quand il contera
les merveilles qu’il a vues. « A beau men-
tir, Boubou-Penda, lui diront les vieil-
lards, qui vient de loin. »
Et maintenant, voulez-vous savoir ce
qui a le plus étonné cette jolie négresse
que voilà assise au seuil de la case, son
enfant sur les genoux ?
— Est-ce la toilette des Parisiennes,
Nia-Nia?
Elle dit non avec sa tète.
— Est-ce la galanterie des messieurs
français ?
Elle éclate de rire et zézaie dans la
langue de son pays quelques mots incom-
préhensibles.
— Nia-Nia dit, m’explique son compa-
gnon, que ce sont les serpents du Tour
du Monde qui Font surtout émerveillée.
Qu’en pensez-vous, bonnes gens, et
cela ne brouilie-t-il pas un peu les idées
toutes faites que vous vous forgiez sur la
vie sauvage?
Je reviendrai visiter Nia-Nia quand on
l’aura conduite au Jardin des Plantes ;
c’est peut-être là qu’elle verra pour la
première fois un lion, un (-hameau et un
singe.
Autre surprise.
Si tous ces enfants du soleil ont été
enchantés de Paris, nous risquons qu’ils
emportent un mauvais souvenir des
Parisiens.
Je laisse la parole à Samba Lawbé
Thiam, chef bijoutier. Sénégalais, qui m’a
exposé avec éloquence les doléances du
peuple noir :
— Nous sommes très humiliés, mon-
sieur, m’a-t-il dit en fort bon français,
d’être ainsi exhibés dans des huttes,
comme des sauvages ; ces cases en nattes
et en boue ne vous donnent aucune idée
du Sénégal. Au Sénégal, monsieur, nous
avons des casernes, des gares, des che-
mins de fer; nous nous éclairons à l’élec-
tricité. Le conseil d’hygiène ne tolère
plus que I on édifie des baraques dans
ce genre-là. Aucune de celles qui tom-
bent n’est relevée...
Je n’insiste pas sur ces regrets un peu
comiques, touchants dans le fond. La
souffrance de Samba Lawbé, qui ne veut
pas être pris pour un sauvage, est un peu
celle de la Parisienne à qui l’on dit que
l’Angleterre, l’Allemagne, Buenos-Ayres
et New-York la considèrent comme la
« cocote » idéale.
Mais voici qui est plus grave :
Les Sambas Lawbés de la place des
Invalides trouvent que les Français man-