L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
BEAUX-ARTS
LA SCULPTURE
En parcourant la grande galerie du
Palais des Beauæ-Arts consacrée à la
sculpture française moderne, et en y
rapportant par la pensée un certain nom-
bre d’œuvres importantes qui devaient y
figurer, mais que des nécessités de déco-
ration générale ont dispersées çà et là
dans le palais tout entier, sous ses por-
tiques et sur ses terrasses, on embrasse
d’un coup d’œil l’œuvre de deux lustres
de la production de notre École actuelle.
Si, par un effort de mémoire que certains
d’entre nous peuvent tenter, nous ajou-
tons encore à ce peuple de statues, à ces
groupes de marbre, à ces colosses de
bronze, ceux qui dans le même espace de
temps ont franchi sans retour l’Atlantique,
et ceux qui ont pris une place définitive
dans les collections d’Etat ou dans celles
des amateurs des deux mondes, on peut,
sans emphase, sans fausse gloire, pro-
clamer que non seulement notre Ecole n’a
pas dégénéré, mais qu’elle a pris de nou-
velles forces et acquis dos qualités nou-
velles.
Le plus grand des arts, après l'archi-
tecture, qui les réunit tous et leur com-
mande, l’art du statuaire, est aussi le moins
accessible à la foule, et c’est celui qui la
touche le moins. Considéré comme pro-
fession libérale, il exige la vocation lapins
ferme et promet, sinon moins de gloire,
une renommée moins retentissante et des
satisfactions d’amour-propre plusliinitées.
Quand le musicien se voit l’objet des
démonstrations d’un public enthousiaste;
quand le peintre est le favori des salons,
le sculpteur n’impose que le respect, et
même ceux qui, dans cette branche, sont
le,s élus de l’art, deviennent rarement les
favoris do la fortune, en raison des con-
ditions matérielles de leur production.
Ce n’est pas assez pour le sculpteur de
rester isolé sur les cimes, ses moyens
d’action aussi sont restreints ; privé des
séductions de la couleur, il faut qu’il
exprime des idées et provoque l’émotion
par le seul geste et la ligne générale de sa
statue, par l’expression devenue palpable
de la forme humaine, choisie dans sa plus
belle acception, traduite dans une matière
inerte, solide, et qu’il doit animer par son
génie. Les actions multiples, les vastes
scènes, les mouvements excessifs lui sont
interdits, parce qu’ils jetteraient la figure
humaine hors de son aplomb en inquiétant
le spectateur. La statue doit contenir en
elle tout son sujet et tout son drame,
inspirer l’intérêt par ses seuls moyens,
exprimer un état de l’àme aussi bien
qu’une action vive ou réfléchie. Pour
l’artiste du marbre ou du bronze, pas
d’apparences fallacieuses, pas de dessous
séducteurs, pas de milieu ambiant, pas
d’atmosphère chargée d’orage, ni de
lointains paisibles et charmants comme
chez le peintre dont l’œuvre embrasse
d’un seul coup et l’homme et la nature et
les éléments. Une pierre, un ciseau, la
terre molle ou la cire docile, et la main
dn sculpteur va traduire sa pensée,
assouplir la matière, lui donner à jamais
la forme et la vie dans un bloc qui triom-
phera du temps, ou dans l’airain qui en
défiera la morsure.
En face de telles conditions, c’est un
devoir d’essayer de triompher de l’indiffé-
rence dupassant, et d’insister sur le génie
de ceux qui, ayant embrassé cette haute
carrière, font aujourd’hui de l'Ecole fran-
çaise une Ecole dont la supériorité est
reconnue dans le monde entier. S’il n’était
point téméraire de dresser des listes par
ordre de mérite cl de décerner des cou-
ronnes, on compterait dans notre Ecole
actuelle dix artistes ait moins qu’on aurait
regardés comme dos maîtres dans tous les
pays, dans tous les temps. Parmi ces der-
niers la plupart n’ont point dépassé la
moyenne de la vio humaine ou sont encore
à l’âge des grandes pensées et des virils
efforts, et au-dessous d’eux un plus grand
nombre promet des maîtres au siècle qui
va venir.
Quand on étudie l’œuvre de chacun
de nos sculpteurs modernes dont nous
osons dire qu’ils sont des maîtres, on
est étonné de voir qu’à chacun des
grands artistes français entrés dans la
postérité depuis trois ou quatre siècles,
on peut opposer un artiste vivant qui,
dans une certaine mesure, a recueilli son
héritage ; et, si téméraire que semble le
rapprochement, nous savons quels sont
les noms qu’on peut écrire aujourd’hui à
côté des leurs. Carpeaux n’était pas le
Puget, mais il avait quelque chose de sa
mâle encolure ; il ne nous convient de ne
parler que des morts, mais il n’y a là
rien de paradoxal et le parallèle pourrait
se continuer.
En sc transformant de siècle en siècle,
les sculpteurs français n’ont jamais cessé
d’êtres semblables à eux-mèmes et pour
s’en convaincre il suffit, après avoir jeté
les yeux sur la galerie de l’Exposition
décennale, de visiter le palais du Troca-
déro où, dans un musée de création
récente, on a rassemblé des fragments de
nos monuments nationaux depuis le
moyen âge jusqu’à nos jours. Il y a là,
même pour ceux dont la vie tout entière
est vouée à l’étude de Fart, une véritable
révélation. Dans ces monuments, trans-
portés devant nous dans leur vraie gran-
deur, avec lesquels nous pouvons vivre
désormais dans l’intimité, nous recon-
naissons la naïveté savante de nos devan-
ciers, leur sévère discipline qui sacrifiait
la personnalité à l’effet do lu partie archi-
tecturale à laquelle elle concourt, et qui
savait cependant s’accuser dans l’expres-
sion, dans une grâce touchante toute
française, dans une pureté et une expres-
sion de ferveur qui sont symboliques do
l’époque qui les a vus naître.
L’art de transition entre le moyen âge
brumeux, voué encore à la superstition,
se souvient des lois des corporations qui
parquent le sculpteur dans une spécialité,
et lui imposent des lois qu’il subit. Ce
n’est point l’époque de la statuaire indi-
viduelle, c’est celle où le sculpteur se
fond dans le monument ; la première
renaissance sera plus ambitieuse ; on
pourra détacher de l’ensemble de l’archi-
tecture la sculpture épisodique, qui a su
pourtant se plier encore à la volonté du
maître de l’œuvre, mais qui déjà s’impose
par sa personnalité ; puis, quand viendra
la Renaissance même, où le génie français,
sans perdre encore cette culture théolo-
gique que lui avait léguée le moyen âge,
sera plus accessible aux passions humai-
nes, deviendra plus sensible, découvrira
de nouveaux horizons, les artistes aspire-
ront à la liberté individuelle et prendront
leur essor dans toutes les directions.
Avançons encore : sous les Valois,
quand nos artistes, troublés et émus à la
vue des monuments de l’Ilalie, reviennent
à l’étude de l’antiquité, voyons comment,
à force de clarté, de simplicité, de discré-
tion, de goût sévère dans la distribution
de l’ornement, notre sculpteur français,
dans ce mouvement qui pouvait lui faire
perdre son cachot national, affirme au
contraire son origine, et, à côté des
désordres do l’Ecole de Fontainebleau,
sait garder son attitude réservée et
décente. Solide, forte, entêtée, trapue,
avec les premiers Bourbons, la sculpture,
sous Louis XIV, va devenir pompeuse
comme le siècle, grandiose comme lui,
décorative, conventionnelle, savante tou-
jours et cherchant la nature sous l’artifi-
cialité des appendices qui la cachent. De
Louis XIV à la Révolution, elle se rape-
tisse au niveau de notre humanité. Les
allégories pompeuses, les idées littéraires
traduites en marbre, où la pensée s’allie
à la forme, mais va peut-être l’envahir,
deviennent plus claires, plus simples,
plus nettes, comme si la saine raison de
Pascal avait, à longue échéance, porté
des fruits et jeté de la lumière dans ces
conceptions un peu nuageuses, dans ces
inventions qui tiennent plus du génie du
littérateur que de la pensée concrète du
sculpteur.