L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
NOS HOTES
L’Exposition exerce de plus en plus sur le
monde son irrésistible attraction : chaque jour
débarquent à Paris des représentants des peu-
plades les plus inconnues et le registreda Figaro
de la Tour Eiffel reçoit les noms les plus invrai-
semblables; nos hôtes s’appellent Boukadar-
Abdoum ou Amahdou-Diang, Modi-Cissé ou
Lakgara N’Daï... On coudoie, aux terrasses des
restaurants, de braves bourgeois venus en
partie de plaisir de la Mellacorée et du Fouta-
Djalon; c’est charmant ! Mais de tous ces visi-
teurs exotiques, le plus fêté, le plus enthousiaste
à coup sûr, restera M. Michel Asséefï, cornette
au 26e régiment de dragons russes, qui vient de
traverser l’Europe à cheval pour contempler le
dôme de M. Bouvard et monter à la Tour Eiffel.
Quelle odyssée ! et pour la suivre, transportez-
vous par la pensée au mess des officiers de la
petite ville russe de Lubeny, dans le gouverne-
ment de Poltava. C’est le soir : on cause, on
songe à la nation amie qui, là-bas, à l’occident
de l'Europe, vient encore de trouver, après tous
ses malheurs, le moyen d’éblouir le monde, de
l’attirer, de le charmer; on se raconte les mer-
veilles de l’Exposition de Paris. Aller si loin,
quelle vraisemblance ? Et la carte est là,
déployée; et de l’œil on suit l’immense trajet :
les steppes d’abord, puis les plaines de Pologne;
puis l’interminable Silésie, et les monts de
Bohème, et la Bavière; toute l’Allemagne, et
seulement enfin, au delà du grand fleuve, les
coteaux de France...
— Mon cheval en aurait pour un mois, dit
l’un.
— Votre cheval, mon cher, mais il serait
mort à moitié chemin, et vous aussi... Votre
cheval, quelle folie!
Et la discussion s’anime, les paris s’engagent :
un (il de soie tendu sur la carte indique la ligne
droite, la ligne à suivre; les têtes se montent :
ce qui n’était qu’un rêve devient un projet, on
calcule les chances de réussite. Le lendemain
on y revient encore ; le colonel, consulté,
soumit le cas au ministre, le ministre en parla
au czar, le czar s’intéressa à l’entreprise; il n’y
avait plus à reculer, M. Asséefï partit...
Il emmenait avec lui ses deux chevaux Diana
et Vlaga; tandis qu’il montait l’un, l’autre sui-
vait, se reposant, s’arrêtant parfois pour paître
l’herbe au bord du chemin, et regagnant
ensuite au galop l'avance qu’avait prise sur lui
son compagnon.
Les trois premiers jours, on alla au pas; le
quatrième jour seulement, on prit l’alluredutrot
pendant cinq minutes par demi-heure; puis, au
fur et à mesure de l’entraînement, la vitesse fut
augmentée et l’on parvint à la marche régulière
de onze kilomètres à l’heure... M. Asséefï, en
cavalier consommé et prudent, réussit ainsi à
maintenir ses bêtes en bonne santé : il fallait,
au relais, s’occuper de leur pansage et de leur
nourriture; veiller à ce que leur ration d’avoine
et de foin fût toujours égale; s’enquérir de la
route à suivre le lendemain, des haltes possibles,
des difficultés de toutes sortes : deux fois les
chevaux durent être ferrés; souvent, au passage
d’une rivière, on perdait une heure ou deux à la
recherche d’un gué; d’autres fois la route était
empierrée, impraticable, il fallait rebrousser
chemin...
Et c’est ainsi que l’infatigable sportsman par-
courut l’Europe; comme ces cavaliers fantas-
tiques dont parlent les vieilles légendes d’Alle-
magne, on le vit traverser, au grand trot de ses
deux coursiers, les villages perdus de la Pologne
et de la Silésie; il passa dans les antiques et
pittoresques villes de Bohême, sans s’arrêter ;
puis il arriva au Rhin, fit halte d’une heure à
Trêves la Sainte, traversa Luxembourg aux
yeux des bourgeois ébahis, et entra en France,
à Longwy. Le soir du trentième jour, il aperce-
vait, de Livry, se dressant Jà-bas dans la pous-
sière d’un soir d’été, la silhouette aérienne et
(luette de la Tour Eiffel... le but.
Vous rappelez-vous ce que disait Horace de
celui qui le premier osa confier sa vie à un frêle
esquif :
Illi robur et æs triplex
Circa pectus erat...
Le vieux Crébillon parodia jadis cette citation
si connue et en fit en l’honneur du premier
cavalier ce quatrain un peu gaulois :
Que ce fut un rude mâtin
Dont la poste eut son origine !
Il avait trois plaques d’airain,
Mais... ailleurs que sur la poitrine.
Trois cent trente-neuf heures de cheval —
c’est le temps employé par M. Asséefï pour
mener à bien sa glorieuse entreprise — cela ne
fait-il pas penser un peu auquatraindeCrébillon?
J’avoue que, en homme de mœurs douces et
d’ailleurs pitoyable cavalier, je préfère de beau-
coup la façon de voyager de M. Moritz Lœwy,
un de nos aimables confrères de F Extrablatt de
Vienne. M. Lœwy sortait un jour de son journal ;
on y avait parlé de l’Exposition — où n’en
parle-t-on point? — et, la tête pleine de mer-
veilles cent fois décrites, il regagnait son domi-
cile, quand, passant sur le Ring, il croise un
fiacre qui s’en revenait à vide :
— Psitt ! cocher, à l’heure.
— Très bien, bourgeois ; où faut-il vous con-
duire ?
— Au Champ de Mars, à Paris.
— Parfait ! en route.
J’imagine du moins que les choses ont dû se
passer de la sorte et l’histoire serait invrai-
semblable, je le reconnais, si l’on y mettait
en scène un cocher parisien monté sur l’un
de ces fiacres que l’on connaît. Quel client
d’ailleurs oserait manifester ici semblable exi-
geance? Mais aux bords du Danube il en est
tout autrement, et M. Tissot a tracé jadis
du cocher viennois un croquis pittoresque qui
se retrouve aujourd’hui d’actualité. « Il est,
dit-il, d’une politesse exquise; quand vous
passez près d’une station de voitures où, réunis
en cénacle, les cochers parlent politique, ou
écoutent, recueillis, la lecture d’un roman de
Walter Scott, ils s’empressent d’accourir au-
devant de vous, chapeau bas et le sourire aux
lèvres : « Votre Grâce, vous demandent-ils,
désire-t-elle une voiture? >>
Il est vrai qu’en Autriche on est cocher par
vocation, si l’on en croit l’histoire de ce cocher
de fiacre des plus connus à Vienne, qui condui-
sait depuis trente ans la même voiture; il fut
mandé un jour chez un avocat :
— Vous n’êtes pas, lui dit celui-ci, le fils d’un
cocher, comme vous l’avez cru jusqu’ici ; j’ai des
papiers qui établissent clairement votre origine :
vous appartenez à une famille aristocratique de
Vienne, et je suis en mesure de vous faire ren-
trer dans tous les droits de succession qui vous
ont été enlevés.
— Je suis cocher, et je reste cocher, monsieur
l’avocat, répondit B... après une minute de
réflexion. Être comte, c’est beau, sans doute,
mais je préfère demeurer cocher, parce que
j’aime mieux avoir le ciel bleu sur ma tête
qu’un plafond doré. L’oiseau meurt en cage...
Et il resta cocher de fiacre.
Un auteur dramatique viennois, Bauerlé, a
tiré de cette histoire vraie une pièce jouée avec
succès sous le titre du Cocher marquis.
J’ignore si Edelman, le phaéton du fiacre 652
qui vient d’amener à Paris M. Moritz Lœwy,
fournira jamais le sujet de quelque opérette;
toujours est-il que, pour le moment, il est en
passe de devenir célèbre, et qu’il partage, avec
son bourgeois, l’honneur d’avoir tenté et mené à
bonne fin une très pittoresque et très amusante
aventure.
G. Lenotre.
CE QU’ON VOIT
CHEZ CEUX QUI NE VOIENT PAS
Si étrange que cela puisse paraître au pre-
mier abord, comme nous tenions à voir, en dé-
tail, un des coins du Pavillon de l’Assistance
publique, auquel nous consacrerons bientôt une
chronique, nous avons choisi pour guide... nn
aveugle, qui nous a fait les honneurs de son
domaine.
Car voilà qui touche aux miracles dont se
glorifie l’Évangile. Les aveugles, ces déshérités,
ont conquis une place dans l’industrie, et ils
tiennent leur rang parmi les clair-voyants.
De tous les tours de force, qu’on nous passe
l’expression, dont nous voyons devant nous les
résultats, celui-ci est évidemment le plus re-
marquable, le plus merveilleux.
C’est encore à la France, à Paris même, qu’il
faut rapporter le mérite, et l’on peut dire la
gloire, des premiers efforts qui ont été faits
non seulement pour rendre la vie supportable à
ces gens si cruellement frappés, mais encore
pour leur permettre de remplir des fonctions
utiles dans la société, de n’être à la charge de
personne, malgré les conditions d’infériorité
où le sort les avait placés.
Au début, et c’était déjà quelque chose, on
ne s’était préoccupé que de les doter d’un art
d’agrément — la musique. Ce serait sortir de
notre cadre que de nous étendre, si plein d’in-
térêt que soit le sujet, sur les efforts tentés pour
découvrir une méthode d’enseignement, sur les
soins méticuleux qu’a exigés son application.
Ce qu’il nous convient de constater ici, et
nous le faisons avec des documents sous les
yeux, c’est qu’en même temps qu’on pour-
voyait les aveugles des connaissances qui leur
créaient un patrimoine intellectuel, on leur a
donné tous les éléments pour exercer un métier,
une profession manuelle qui les rend indépen-
dants. On compte par mille, rien que dans Pa-
ris, les ouvriers et artisans aveugles.
L’exposition où nous suivons pas à pas le tra-
vail fait pour arriver à ce résultat incompré-
hensible, est des plus attachantes. En entrant,
voici la partie historique et administrative;
puis, ce qui offre un bien plus grand intérêt en-
core, les objets ayant servi et servant encore à
l’enseignement des aveugles. Il y a des livres,
— cela semble étrange au premier abord. Rien
que ce mot réconforte, car il n’est pas un de
nous qui, songeant qu’un jour il pourrait être
frappé de cécité, n’ait tout d’abord pensé a
ceci : — Ne plus pouvoir lire... Maintenant les
aveugles le peuvent, mieux même, ils écrivent,
grâce à une ingénieuse machine qui a été le
point de départ d’une machine plus merveil-
leuse encore et qui permet de calculer. Elle mé-