L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARTS
LE TOUR DU MONDE
EN HUIT MINUTES
PARIS CHEZ LUI
« semblable à une gueule d’abîme »
.....Ma sœur, si vous ne dormez point, veuillez
nous dire un de ces contes que vous contez si
bien.
Et la sultane Shéhérazade, sollicitée en ces
termes traditionnels, commença ainsi : Comman-
deur des croyants, un marchand, revenant de
Bassora avec ses chameaux, s’était, pour les
faire paître, arrêté dans un lieu fort éloigné de
toute habitation. Certain derviche qui voyageait
à pied vint s’asseoir auprès de lui pour se dé-
lasser; après les questions d’usage entre voya-
geurs, ils mirent leurs provisions en commun
et commencèrent ensemble leur repas.
Le derviche, qui se plaisait à raconter ses
aventures, tira de son sein une petite boîte con-
tenant une sorte de pommade fort grossière.
« Cette boîte, dit-il, est pour moi une chose plus
précieuse que toutes les richesses; l’usage de la
pommade qu’elle renferme est en effet surpre-
nant et merveilleux; si vous en appliquez un peu
autour de l’œil gauche, vous verrez apparaître
devant vous rassemblés tous les trésors qui sont
sur la surface du globe... »
Le marchand en voulut faire sur-le-champ
l’expérience, et à peine eut-il approché le talis-
man de sa paupière, qu’il vit les montagnes se
fendre dans leur hauteur et apparaître à ses
yeux un palais magnifique, pratiqué plutôt par
le travail des génies que par celui des hommes,
car il ne paraissait pas que des hommes eussent
pu même s’aviser d’une entreprise si hardie et
si surprenante : sous des voûtes de cristal de
roche s’amoncelaient dans de grands vases
d’orfèvrerie des pierreries étincelantes et des
objets d’art merveilleux...
C’est un conte des Mille et une Nuits. Jeunes
ou vieux, tous le connaissent, et s’il nous
revient en ce moment à la pensée, c’est que,
arrivé au seuil de cette Exposition féerique que
nous allons tenter de détailler à nos lecteurs,
nous sentons vivement le regret de ne point
posséder le talisman du bon derviche dont il
est parié ci-dessus. — Mais nous n’avons en
notre puissance aucune pommade magique
pour nous aider dans nos promenades descrip-
tives à travers cet amoncellement de palais,
pratiqués plutôt par le travail des génies que par
celui des hommes... Réduit à nos propres forces,
nous tâcherons cependant de ne rien omettre
et de dévider devant nos lecteurs une sorte de
fil d’Ariane qui leur servira de guide à travers
ce labyrinthe de merveilles.
Mais le train siffle, le train minuscule de
M. Decauville qui nous doit promener à travers
cet univers en raccourci. Un coup d’œil à la
belle porte élevée par M. Ch. A. Gautier sur le
quai d’Orsay, porte bizarre, dont les pylônes
maniérés rappellent la silhouette de la flèche
d’Elseneur, le château d’Hamlet, mais d’an
Elseneur ensoleillé et oriental — et en route !
D’abord, c’est la ville arabe, avec ses cou-
poles blanches et ses terrasses à créneaux se
découpant sur le ciel ; le groupement du pavillon
algérien de M. Ballu et des jolies constructions
tunisiennes de M. Saladin pose à l’entrée de
l’Esplanade des Invalides le plus curieux décor
d’Orient que l’on puisse rêver. Plus loin, dans
les arbres, se mêlent, se tordent, grimacent,
tire-bouchonnent les flèches des constructions
annamites et chinoises, les pagodes, les cases
canaques, la tour de Saldé, constructions baro-
ques, aux profils déconcertants, aux couleurs
lourdes et chargées, aux angles de figures d’une
hideur monstrueuse et troublantes comme des
visions de cauchemars.
Le train court sur les rails, nous laissant à
peine le temps d’apercevoir les façades plus
classiques des Palais de l’IIygiène et de la Guerre
auxquels nous reviendrons. Nous longeons une
sorte de hameau composé d’une beurrerie sué-
doise, de laiteries et de boulangeries hollan-
daises et anglaises, qui servent d’avant-propos
aux longues galeries del’Agriculture etdel’Ali-
mentation. Un passage à niveau nous fait
traverser l’avenue de la Tour-Maubourg; —
derrière les barrières, la foule regarde curieu-
sement passer le train international qui s’engage
sous les arbres, suivant les longues galeries qui
relient le Champ de Mars à l’Esplanade des
Invalides. Là, s’entassent les graines, les gerbes,
les machines agricoles; là, sur un piédestal
semblable au trône de quelque divinité indoue,
a pris place l’énorme tonneau dont le voyage
d'Épernay à Paris a été si plein d’incidents.
Plus loin, après qu’on a traversé en tunnel la
place de l’Alma, décorée d’un arc de triomphe-
passerelle des plus réussis qui semble être la
porte de quelque Téhéran fantastique, s’élève le
sanctuaire des produits alimentaires et de la
dégustation; et, tout à coup, la ligne des cons-
tructions cesse brusquement et le train, qui
nous promène à travers cette féerie, s’élance
dans les jardins de l’Exposition.
Des coupoles dorées, étincelantes sous le
soleil de mai et surmontées de victoires ailées,
levant des palmes; les dômes de céramique
bleuâtre des Palais des Beaux-Arts, des pelouses
coupées de bouquets, des fontaines jaillissantes,
où sous les jets triomphants se silhouettent de
gigantesques statues au-dessus desquelles plane
la France tenant le flambeau du progrès, le
chatoiement des oriflammes de toutes nations
et de toutes couleurs, et, dominant l’impression
générale, le colosse de 300 mètres, écrasant le
sol de ses quatre énormes pieds et élançant
dans les nuages ses légères charpentes de fer
couleur de rouille... voilàle premier coup d’œil
et il est fantastique.
Mais le voyage continue, et, comme dans cette
chasse infernale que conte Victor Hugo, où
Pécopin parcourt en une nuit la forêt enchantée,
et passe des plaines de neige du pôle aux éten-
dues calcinées du désert, nous voici dans le
Nord: à notre gauche s'élèvent les pavillons
suédois, norvégien et finlandais; à droite, contre
la rotonde du panorama des Transatlantiques,
auquel nous reviendrons quand la fantaisie nous
prendra d’une traversée sans danger et sans
mal de mer, voici l’Histoire de l’habitation, où
M. Garnier nous fait un cours récréatif d’archi-
tecture civile, depuis le Plein air, qui naturelle-
ment ne consiste en rien du tout, jusqu’aux
délicats hôtels à tourelles et à pignons sculptés
de la Renaissance. Voilà le pavillon des Manu-
factures de l’État, et, tout à côté, la cabane
Eiffel, l’œuf d’où est sorti le géant de fer qui
porte si haut dans la nue le drapeau français.
Une station, celle de Trocadéro-Tour-Eiffel,
et... nous sommes en Amérique.
C’est d’abord le Brésil, représenté par un
vaste palais que domine un< tour de 45 mètres
et qui contiendra des serres où, pendant l’Ex-
position, seront entretenues des collections des
plus belles fleurs de l’Amérique du Sud. Bien
plus, M. Paul Boui’de assure qu’à côté de cette
serre sera creusée une pièce d’eau où s’épanouira
une des plus grandes attractions du Champ
<ie Mars. Des tuyaux y versant l’eau chaude la
maintiendront constamment à 30 degrés. Grâce
à cette température tropicale, on y verra pour
la première fois fleuris à ciel ouvert des Victo-
rias regias, dont les feuilles étalent sur l’eau des
plateaux de l"',50 de diamètre et peuvent porter
un petit enfant sans sombrer.
Le Mexique a emprunté à son ancienne civi-
lisation les motifs du palais qu’il a fait con-
struire. Une masse énorme de 70 mètres de
long et 15 mètres de haut, avec une porte
sombre,
et à laquelle donne accès un escalier d’une in-
vraisemblable raideur : tout cela vous a une
vague allure d’un temple destiné aux sacrifices
humains. Voici le pavillon de San Salvador
chargé d’hiéroglyphes et d’inscriptions faciles
à lire... pour ceux qui connaissent le nahuatl,
puis celui de la République de l’Équateur, gardé
par quatre animaux fantastiques.
La voie traverse encore les Républiques boli-
vienne et de l’Uruguay, les possessions de Nica-
ragua, de Vénézuéla et de Paraguay; voici
Haïti, et, sans transition, nous sommes aux
Grandes Indes, caractérisées par une de ces
constructions monstrueuses peints en rouge
sang et ornée de bandeaux sculptés où se
jouent des éléphants, des tigres et des cerfs.
Trois mille lieues en une minute : Philéas
Fogg est dépassé : voici le Japon, ses lotus et
ses pivoines, ses grues et ses feuilles de mauve
sculptées en bois de Keyaki, voici la Chine,
et... la Allah, ill Allah! — rappelez à votre
esprit les Me'lopées et la Prière du Muezzin de
Félicien David, les Lettres de Fromentin, les
Voyages au Nil de Maxime Du Camp... vous êtes
au Caire : une rue tortueuse et pittoresque de
la vieille cité orientale s’enfonce devant vous,
avec ses moucharabiés, ses ingénieux grillages
en bois qui ressemblent à des lits bretons, ses
balcons avançant sur la rue, et soutenus par
des poutres fichées dans le plâtre blanc; un
large vélum tendu d’une terrasse à l’autre jette
un peu d’ombre et de fraîcheur dans ce coin
des pays du soleil transporté au Champ de
Mars; et le minaret de la mosquée voisine élève
dans le ciel sa blanche et délicate silhouette.
G. Lenotre.
— Passez donc...
— Après vous, je vous en prie...
— Je n’en ferai rien, d’ailleurs je suis chez
moi...
Ainsi parle le Parisien qui sert de cicerone
à un parent de province, ou à un ami venu de
l’étranger. Et en effet il est chez lui, là, au mi-
lieu du Jardin central des Expositions diverses
où s’élèvent les deux pavillons de la Ville de
Paris.
C’est à nous, les habitants de la grande Cité,
qu’il appartient d’en faire les honneurs, et la
tâche est agréable, car dans cette visite détail-
lée on n’est pas sans se sentir quelque peu cha-
touillé dans son amour-propre d’être un « habi-
tant du cerveau et du cœur de la France »,
comme dirait M. Prudhomme, qui dit de belles
choses dans un langage cocasse.
Ces pavillons embrassent une surface de près
de trois mille mètres carrés ; sans vérifier la
chose, on est disposé à n’en pas douter après
les avoir parcourus et, synthèse de l’éloge, on
ne regrette pas cette excursion.