L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
DANS LES NUAGES
Il no s’agit point de politique : ce n’est
pas le récit d’un congrès électoral avec
les discussions infinies qui ouvrent de si
singulière façon cette année mystérieuse
née dans un berceau do bruines; il est
ici question tout simplement de la Tour
Eiffel et des centaines d’ouvriers (pii,
toujours plus haut, par le froid et parla
pluie, travaillent, infatigables, dans celte
immense Babel au pied de laquelle
bourdonne déjà la confusion des langues.
La journée commence à six heures.
A ce moment, dans les chantiers en-
core endormis, tout est blanc : les sillons
boueux, creusés la veille par les charrois,
sont devenus aussi durs que les masses
de for qui dorment sur les rails, décolo-
rées par le givre ; et, dans la clarté
encore indécise, la Tour a les teintes
inattendues d’une gigantesque toile
d’araignée dont les fils d’argent s’enche-
vêtrent partout, sut' un fond do brouillard.
Le thermomètre est à 4 degrés au-des-
sous do zéro.
Les ouvriers arrivent peu à peu, gla-
cés paido froid ; le visage à demi caché
par la casquette do loutre aux bords ra-
battus sur les oreilles, le corps enve-
loppé dans d’épais tricots, les mains en-
fouies dans les poches, l’échine courbée
pour laisser moins de prise au vent. Ils
montent ainsi, lents, silencieux, incons-
cients, comme si le sommeil do leur nuit
sc .prolongeait dans un rêve.
C’est ainsi qu’ils gravissent chaque
matin les neuf cent soixante marches qui
les séparent de la seconde plate-forme :
leurs gros souliers cloutés do fer grin-
cent contre le fer dos escaliers, tandis
que sous leurs pieds indifférents le Champ
do Mars, cette ruche énorme avec ses
parterres, scs galeries et scs toitures,
semble avoir été, dans la nuit, saupou-
dré de sucre par une main gigantesque,
inconnue.
Il faut un quart d’heure pour cette
première ascension.
Nous sommes, alors, à cent quinze
mètres. Le thermomètre marque 6 de-
grés un-cressons de zéro.
Ici commence la répartition très nette
du travail.
Uno cinquantaine d’ouvriers s’arrêtent
définitivement à ce second étage pour
son achèvement. Au premier étago, on
construit le pavillon franco-américain,
I un des quatre restaurants placés dans
la Tour, restaurants assez vastes pour
contenir chacun doux cent cinquante
petites tablos de deux convives; et l’on
termine la splendide galerie du pourtour
dont les panneaux dorés cl les vitraux de
couleur feront l’admiration de tons. Sur
la seconde plate-forme quelques ouvriers
règlent la marche des machines et la
manœuvre des treuils qui élèvent les
pièces de trois ou quatre mille tonnes;
les autres poussent sur les rails leswagon-
nets chargés de bois ou de fers et les con-
duisent jusqu’au pied des piliers où les
grues mobiles des étages supérieurs vont
enlever tout cela comme un fétu de
paille.
Sur ccttomême platc-formo est instal-
lée depuis deux semaines la fameuse
cantine offerte aux hommes, une pièce
longue cl basse, où deux poêles brûlent
continuellement, et clans laquelle les
repas sont servis avec dos rabais consi-
dérables ; le directeur des travaux a
voulu, en effet, que le restaurateur n’exi-
geât des ouvriers qu’un prix inférieur de
moitié au prix des marchands de vin du
voisinage, et sous celle condition abso-
lue M. Eiffel a fourni le combustible et
donné à l’entrepreneur des cuisines une
somme do 60 centimes par déjeuner. L’ou-
vrier n’a donc à débourser qu’une somme
insignifiante pour les repas de midi, et
il ne perd plus ni son temps ni ses forces
dans des ascensions répétées.
Il y a là un réel progrès.
Dans celle usine mouvementée, située
à cent quinze mètres au-dessus du sol.
usine encombrée de machines à vapeur
et de treuils en mouvement, le travail-
leur n’ost pas très exposé au froid, et la
marche du thermomètre lui importe peu.
Celui qu'il faut plaindre continue son
ascension bien au delà : toujours lent et
silencieux, celui-là va se percher avec
deux ou trois de ses compagnons dans
les mailles de celte volière immense, se
coucher à deux cent vingt mètres sur le
tissu transparent, et ajouter aux tiges do
for d’autres tiges de fer, là-haut, tou-
jours plus haut. Celui-là est exposé à
tous les vents, à toutes les pluies, à tous
les froids. Il a pendant la matinée jus-
qu’à 8 degrés au-dessous de zéro.
Mais il est à peine vingt camarades
comme lui. Ce sont quelques ouvriers
d’élite, habitués à ces fatigues, les fidè-
les de l’usine Eiffel, ceux qui, en plein
hiver, ont déjà construit le fameux viaduc
de Garabit, dans le Cantal, cl qui ont
supporté bien d’autres éprouves au-des-
sus des gouffres delà Truyère, où le froid
dépassait souvent 15 degrés.
D’ailleurs, à côté d’eux, se trouve
presque toujours une petite forge mobile,
remplie d’un brasier rouge. La forge est
continuellement nécessaire pour leur mi-
nutieux travail, puisqu’il faut, sur les I rons
pratiqués d’avance dans le fer, enfoncer
d’énormes clous brillants que l’on « rive »
à blanc. Ce travail, avec le déploiement de
force qu'il exige, réchaufferait, paraît-il,
les plus frileux. Aussi tous les ouvriers
ont-ils refusé jusqu’à présent les vête-
ments en peau de mouton que M. Eiffel
avait fait préparer pour eux. Dans l’après-
midi, d’ailleurs, la température est très
sensiblement modifiée, et de midi à cinq
heures, le thermomètre, à 225 mètres,
marque un degré au-dessous de zéro ou
zéro degré. Il y a une différence do cinq
ou six degrés de froid entre le sommet et
le sol. Parfois même, quand le brouillard
se maintient sur Paris, il fait plus chaud
sur le sommet do la Tour que dans
ses assises, parce que le sommet seul,
planant au-dessus des nuages humides,
reçoit directement les rayons du soleil.
Il y aura à ce sujet do très curieuses expé-
riences pour l’Acadcmie tics sciences,
ainsi que le prévoit M. de Nansoufcy dans
sa très curieuse histoire do « la. Tour
Eiffel », et dès demain des thermomètres
seront placés, qui enregistreront foules
løs températures aux différents étages.
[I y a donc peu d’ouvriers dans les
grandes hauteurs. On ne voit pas sur ce
gigantesque chantier les équipes nom-
breuses et bruyantes auxquelles l’imagi-
nation prête à l’avance un excès de mou-
vement, de bruit et de vie; les équipes
sont restreintes et muettes : le fer lui-
môme n’est plus bruyant et la raison en
est merveilleuse dans sa simplicité : c’est
à Levallois-Perret que tout se prépare, en
effet, d’après les douze mille épures
établies pour les douze mille pièces diffé-
rentes qui composent la Tour. Chaque
pièce est arrivée devant le pont d’Iéna,
parfaite, entièrement terminée., avec son
numéro d’ordre : chacune viendra s’ajus-
ter sur la précédente ou s’accoler à la
voisine exactement, mécaniquement, dans
un ordre immuable; et il ne doit plus y
être pratiqué un seul trou do rivet. Donc
pas d’outillage pour percer, pour aléser,
pour cintrer ou pour rectifier surplace :
tout a été prévu, combiné par l'ingénieur,
calculé à l’aido do logarithmes avec une
précision de un dixième de millimètre, cl
une montagne de dessins a préparé celte
montagne de fer.
Là est le véritable triomphe de M. Eif-
fel, do son gendre M. Salles, cl de tous ses
collaborateurs.
Le chantier improvisé à deux ccnt
cinquante mètres est des plus simples :
à côté d’une machine à vapeur, chauffée
jour et nuit, deux grues mobiles do douze
mille kilos sont fixées sur l’un des mou-
lants qui doit supporter l’ascenseur. Ces
deux appareils do levage grimpent en
quelque sorte, se faufilent entre les arba-
létriers on fer, tournent à droite, à gaucho,
en dedans, en dehors et puisent en bas.
incessants, les immenses traînées de nié-