L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
Søgning i bogen
Den bedste måde at søge i bogen er ved at downloade PDF'en og søge i den.
Derved får du fremhævet ordene visuelt direkte på billedet af siden.
Digitaliseret bog
Bogens tekst er maskinlæst, så der kan være en del fejl og mangler.
C5
QC
L’EXPOSITION DE PARIS
UNE ASCENSION
DE LA TOUR EIFFEL
(Quelques personnes ayant eu Vocca-
sion de lire le journal de mon ascension
à la tour Eiffel, ont pensé que ces lignes
intéresseraient les nombreux touristes
qui, de tous les points de la France et de
l’étranger, se proposent de monter un
jour ou rautre au sommet de la Tour.
Je communique bien volontiers au
grand public les notes d’un excursion-
niste dédaigneux des chemins battus
qui — comme Tartarin au liighi — a
voulu monter du côté de l'abîme.)
(Je 24 février 1889, 8 heures du
matin. — Au réveil, mon premier soin
est de courir à la fenêtre pour voir le
temps qu’il fait.
Désola tion de la désolation !
L air s’est sensiblement refroidi, le ciel
est couvert de nuages. La neige tombe
par intermittences. Le thermomètre
marque 1° 1/2 au-dessous de zéro. Le
baromètre est à 763.
Pourtant il est impossible de remettre
notre partie à un jour plus favorable.
Al. Eiffel m’a gracieusement donné ren-
dez-vous pour deux heures au pied de la
Touri Nous monterons — quand bien
même Paris serait tout entier sous la
ouate.
Une heure et demie, soir. — Avant
de m’asseoir dans la voiture, j’ai inter-
rogé mon cocher sur les variations pro-
bables de la température.
On ignore généralement que les cochers
de fiacre sont d’aussi surprenants pronos-
tiqueurs du temps qu’il fera que les vieux
loups de mer.
L intérêt que ces noctambules prennent
à la question du froid aux mains et du
froid aux pieds leur fait tout naturelle-
ment? lever les yeux vers la lune tandis
qu ils vous attendent à la porte d’un bal.
Ils deviennent disciples de MathieuLaens-
berg par désœuvrement et par nécessité
— comme les rois-pasteurs.
L avis de mon cocher n’est pas rassu-
rant :
— Le vent souffle du nord-nord-ouest,
me répondit-il en mettant un tour de plus
à son cache-nez. Des giboulées vont
continuer et le ciel ne se découvrira
pas.
Deux heures, soir. — M. Eiffel nous
attend dans la maisonnette qu’on a éle-
vée à l’entrée du chantier, sur la gauche,
pour abriter les bureaux. Nous sommes
en tout une quinzaine de touristes. Plus,
quelques (laines qui ne comptent point
monter plus haut quo le second étage.
M. Eiffel rue présente le guide qui
m’accompagnera jusqu’au plancher de
275 mètres. C’est là que travaillent pré-
sentement les charpentiers.
Quatre ou cinq personnes qui déjà ont
entrepris l’ascension se sont munies de
casquettes à oreillettes et de gants four-
rés. 11 parait que les chapeaux de forme
haute offrent au vent une prise fâcheuse ;
d’autre part, le froid des fers cause à la
longue une brûlure cuisante.
Deux heures et demie, soir. — En file
indienne, précédés par M. Eiffel et par le
guide, nous entrons dans le pilier droit
où s’ouyre un des escaliers.
A cette minute le thermomètre enre-
gistreur marque 1° au-dessus de zéro. Le
temps est toujours menaçant, mais la
neige ne tombe plus.
Les trois cent cinquante marches qui
mènent à la première plate-forme (cin-
quante-huit mètres au-dessus du sol)
sont douces à gravir. Aussi bien cet esca-
lier a-t-il été construit pour l’usage du
public.
M. Eiffel m’a conseillé d’imiter sa dé-
marche. 11 monte très lentement, le bras
droit à la rampe. Il balance le corps
d’une hanche sur l’autre. Il profite de cet
élan pour gravir chaque degré. Ici la
pente est si inclinée que nous pouvons
causer tout en montant, — et personne
ne souffle en débouchant sur le palier du
premier étage.
Trois heures cinq, soir. — Le pre-
mier aspect de cette vaste surface est
celui d’un chantier de construction dans
la fièvre du travail.
Quatre pavillons s’élèvent à la fois
dont les charpentes masquent tout d'a-
bord la vue de Paris. Ce sont les fonda-
tions d’une brasserie flamande, d’un res-
taurant russe, d’un bar anglo-américain,
d’un cabaret Louis XIV. On est en train
de bâtir les caves — à 58 mètres dans
l’espace. Vers l’heure des repas, cette
vaste terrasse pourra loger 4,200 habi-
tants — une population de ville.
D’un côté les fenêtres de ces restau-
rants ouvriront sur le large carré de vide
qu’enferment à l’intérieur les quatre
piliers de la Tour. En ce moment, ils
encadrent dans un recul, dans une
lumière de stéréoscope, un paysage d’hi- j
ver : des rocailles couvertes de neige, |
quelques verdures perpétuelles, un petit j
bassin où des canards nagent entre les
glaçons.
De l’autre côté, les dîneurs domineront
le promenoir qui fait balcon sur Paris.
La ville a déjà pris l’immobilité d’un
panorama. La vio et le mouvement
cessent. Les silhouettes des passants et
îles fiacres font dans les rues de petites
taches d’encre, très noires, très nettes,
filles ont l’aspect figé des foules qui se
iressent, des chevaux qui stoppent dans
les dessins autour des grands magasins de
nouveautés. Seule la Seine vil toujours,
par les moires qui courent sur sa face
limoneuse. L’impression est une toile
gonflée par un coup de vent.
Trois heures vingt-cinq, soir. —
Nous laissons ici une partie de nos com-
pagnons pour nous engager, à une
dizaine, dans le petit escalier en vis, —
un escalier de hune où le public n’entrera
pas. Il s’élève parallèlement aux ascen-
seurs verticaux.
Pour échapper à l’étourdissement de
cette ascension circulaire, on fouille le
paysage à travers l’enchevêtrement des
croix de Saint-André dont la Tour est
bâtie. Et l’on a la .sensation surprenante,
à chaque tour de vis, de la rapide montée
de l’horizon. Le Trocadéro descend. Il ne
dépasse plus la ligne géométrique que de
lapointe de ses paratonnerres. Les masses
sombres du Bois do Boulogne, — éclair-
cies par la tache fraîche des pelouses de
Longcliamps — entrent en coin dans
Paris, repoussent la ville vers l’est.
Trois heures quarante-cinq, soir. —
Et, tout d’un coup, l'escalier fait halte.
Nous venons d’atteindre l’étage de cent
vingt mètres.
Les premiers objets qui frappent les
yeux sont des wagonnets montés sur
rails. Un chemin de for circulaire est ins-
tallé sur ces hauteurs pour la commodité
des travaux. Ce ■village est pourtant moins
important que l’autre.
En attendant qu’on donne à cette se-
conde plate-forme l’apparence d’un pont
de navire, avec une dunette sûr laquelle
seront installées des longues-vues, et des
rouffs pour permettre aux personnes
obèses qui auront pris chaud dans la
montée du premier escalier de se mettre
à 1 abri des courants d’air, les seules ma-
nifestations do la vie et de la présence
des hommes sont ici trois constructions
de tailles inégales : un pavillon pour la
machine à vapeur ; un hangar vide ; une
cantine où les ouvriers qui travaillent
dans les régions élevées de la Tour des-
cendent quotidiennement pour prendre
leur repas.
Lorsqu’on se tourne vers la face sud
de la Tour, on a une vision admirable,
entière, du plan de l’Exposition. Les toits
de verre de la galerie des Machines et
des deux palais semblent des lacs de
plomb fondu ; les dômes en surgissent
comme des îles montagnardes. Et lors-
que, sous les nuages plus noirs, plus bas,
ce mirage disparaît avec les jeux de la
lumière, on dirait une immense nef d’é-
glise qui prend pour clocher la Tour.
Par une lente du plancher où monte
en grinçant une chaîne à crémaillère, je
regarde 1 abîme. Cette coupe est verticale.