ForsideBøgerExposition Universelle In…e L'exposition, Vol. II

Exposition Universelle Internationale De Bruxelles 1910,
Organe Officiel De L'exposition, Vol. II

Forfatter: E. Rossel

År: 1910

Sider: 500

UDK: St.f. 061.4(100)Bryssel

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444 L’EXPOSITION DE BRUXELLES L’ART BELGE AU XVII™ SIÈCLE V. — LES DISCIPLES DU MAITRE. — JORDAENS. Voici encore un peintre, un peintre de race, qui aima les belles couleurs, très simplement, pour le plaisir qu’elles nous donnent, et qui, comme le dit un de ses biographes, peignit surtout pour sa propre jouissance. Un vrai Flamand, par son goût pour les grasses et blondes matérialités, et non tant encore par son désir de la couleur que par le choix des sujets qu’il représenta. Plus qu’aucun autre peut-être, il fut anecdotique, et dans l’anecdote il rechercha le proverbe, qui est l’expression de la sagesse ou de la joie populaires. Il en traita deux avec une particulière prédilection : le Roi boit et le Satyre et le Paysan. Tout le Jordaens, expressif de la gaîté et de la bonne chère, le Jordaens tout à la fois somptueux et paysan, se retrouve dans ces deux apologies. Jordaens a écouté, aux veillées, les aïeuls par- lant des épiphanies triomphantes de jadis. Il a compris dans leurs frustes récits la joie pas encore oubliée des plantureux repas et des franches beuveries. C'étaient parfois des gens de conditions médiocres, qui étaient réunis autour de la table familiale, mais la sensation, le désir qu’ils éprouvaient devant les mets étalés exal- taient leur imagination goulue, et le peintre s’imaginait bientôt voir, au lieu de ces braves Flamands, simples et modestes, de grandes dames, richement parées, et des seigneurs, pas trop distigués d’ailleurs, à la foule desquels le paysan un peu barbare se mêlait, dans la même expression de gourmandise. Et, au- dessus de tous, il s’imaginait le roi, le roi aux lèvres lippues, aux joues tombantes, le vieux roi débonnaire des anciennes légendes, qu’on a coiffé d une couronne d’or, comme d’une mitre ridicule. Voici autour de lui la ruée éperdue vers les victuailles savoureuses. Le plaisir a pris tantôt une expression de brutalité, tantôt un aspect de grâce. Le sourire d’une femme, étalant la grasse nudité de ses chairs, corrige la pose grossière d’un rustre, son voisin, qui s’empiffre de viandes, le désir vorace d’un convive trop éloigné de la table, ou l’extraordinaire convul- sion de l’ivrogne qui porte un toast bruyant. Jamais peintre ne conçut représentation plus variée d'une scène très simple pourtant. Tout un monde est symbolisé par ces quelques person- nages reunis autour de la table luxueusement servie : vieillards et jeunes gens, femmes gra- cieuses et matrones édentées, joli seigneur au sourire qui minaude, paysan mal dégrossi, truand échappé des routes incertaines, marin arraché à l’âpre bise des mers, tous répondent à l’apothéo- tique toast du maître, couronné d’or, de la gour- mandise, tandis que, profitant des reliefs de la table, un enfançon joufflu, un chien, un chat participent modestement à la délirante allé- gresse. C’est la fête des sens, la fête universelle dont nul n’est exclu ; c’est la sensualité humaine superbement magnifiée. Comme synthèse, com- plète et absolue, on ne trouverait guère à lui comparer — mais au pôle opposé de l’idée — que la Danse des morts, dont l’imagination des vieux peintres allemands fut obsédée, cette danse des morts qui réunissait dans la même ronde les princes, les bourgeois et les peuples. Ici, la sensuelle matérialité agite du même mouve- ment, et comme à la baguette d’une puissance invisible, grands et petits confondus. Le Satyre et le Paysan ne vise pas à cette synthèse, c’est l’apologue très simple, une tranche de vie découpée dans la chair frémissante. Autour de la table, la table encore, symbole des matérialités grisantes, le paysan et sa famille sont rassemblés. Souvent, dans les nombreuses variantes que Jordaens fit de son sujet favori, les animaux domestiques, les bêtes amies, le bœuf, le coq et le chien sont de la fête, et c’est au moment précis où le satyre se lève, étonné des manières de son hôte, soufflant également le froid et le chaud, que la scène nous est pré- sentée. La riche et brutale nudité du demi-dieu contraste étrangement avec les frustes vêtements du paysan ; la divinité narquoise semble railler l’esprit grossier du villageois qui cependant con- serve son calme de bon Flamand, que rien ne peut troubler et dont l’appétit est trop aiguisé pour écouter les objurgations du satyre. Jordaens, c’est le gros rire épanoui de la race flamande. Son humour est débordante, elle introduit les mythologies païennes de la Grèce antique dans la chaumière du paysan ; et le peintre semble aimer ce contraste et se moquer un peu de la solennité antique. Plus que Cérès, plus que Bacchus, qu’il représenta parfois dans de grandes compositions, il affectionne ce bon satyre, malin, railleur et très inconvenant par surcroît. On a dit et répété souvent que Jordaens ne comprit pas l’idéal religieux. Pour les raisons que nous venons de dire, il est naturel qu’il n’eut point le sentiment de tendre mysticité ou simplement de piété qui caractérisa tant de peintres des Flandres. Qu’on examine le Christ chassant les vendeurs du temple, du Musée de Bruxelles, et on remarquera les traits vulgaires du Christ. Qu’on regarde la fameuse toile de Dixmude représentant VAdoration des mages, et on distinguera dans le fond du tableau deux valets qui semblent railler la pieuse émotion des souverains orientaux. Ces choses ont été signa- lées, et elles devaient l’être, parce qu’elles ré- pondent à une réalité. Mais on a dit aussi, et nous pensons qu’on eut point tort d’insister sur ce point : Jordaens prouva parfois qu’il pouvait exprimer le sentiment religieux. Certes, il sut idéaliser aussi, l’artiste qui peignit le portrait de Catherine van Noort, prêté au Salon de l’Art ancien par M. Fleischmann, de Londres. Il connut aussi le charme que peut produire un beau visage, le peintre qui se plut à fixer sur la toile les traits charmants de ces jeunes hommes et de ces jeunes femmes que nous avons admirés dans le Conscrit et l’Invalide (de M. Alphonse Cels, d’Uccle), et dans le Jour et la Nuit (de M. Michel van Gelder). La rétrospective de Bruxelles nous permet donc d’insister sur le caractère si divers de Jordaens, sur ses qualités abondantes et variées. Plus que tout autre peintre, celui-ci souffrit de l’injustice. Longtemps on lui tint rigueur de ce qu’on appelait son manque d’idéalisme ; le re- proche était trop absolu peut-être. L’idéalisme n’est-il pas aussi dans la puissance de l’imagina- tion, dans l’exaltation des forces même matéria- lisées. Qui dit poésie dit idéalisme, et quelle poésie plus pénétrante que celle qui chante toutes les joies de la nature en fête, un repas somp- tueux, vers lequel les appétits se déchaînent, dans l’harmonie savamment combinée des caractères et des instincts ; les divinités bienfaisantes, -Cérès et Pomone, symbolisant l’immortelle fécondité, au milieu des fleurs et des fruits de la terre ; les belles nudités pures et chastes, comme les blés, comme les moissons dorées ; la vie enfin puisée aux sources débordantes d’où elle renaît inlassablement. Qu’importe, dans le détail, une certaine vul- garité. Le mot n’existe plus en face de l’idée. En voulant, plus tard, exprimer cette pensée, les romantiques eurent peut-être le tort d’employer le terme de laideur pour l’opposer à celui de beauté. La laideur, ou la vulgarité, n’est nulle part quand la poésie magnifie et chante. L’an- tithèse n’existe pas. Une seule beauté s’affirme en maîtresse, et l’idéalisme est partout quand il y a expression originale et puissante des forces vives de la nature. Jordaens fut aussi un grand peintre, parce qu’il posséda une technique admirable, tout à la fois audacieuse et sûre. Quelques négligences qu’on put remarquer parfois dans l’exécution n’enlèvent rien à une maîtrise exercée, visant surtout la rutilance des tons et l’effet de l’ensemble. Il sut faire vibrer la lumière et les ombres, et cet artiste flamand, qui ne descendit jamais en Italie et ne connut pas le Caravage, d’ailleurs de quelques années plus jeune que lui, traita le clair-obscur d’une manière remarquable. Le Salon de l’Art ancien nous a permis d’ad- mirer des œuvres de premier ordre : la Sainte Camille, du Musée de Cassel, deux intéressantes répliques du Satyre et le Paysan, trois du Roi boit, celles des musées de l’Ermitage et de Valenciennes — qu’il est curieux de comparer — et celle de M. François Empain, le Martyre de sainte Appoline, de l’église des Augustins d’An- vers, te Piqueur et ses chiens, du Musée de Lille, et l’Etude 'de têtes d’hommes, du Musée de Gand. A quoi bon citer encore ? Ces œuvres ont parlé ^'elles-mêmes ; elles ont servi à achever la réha- bilitation du maître, trop longtemps dénigré, et aujourd’hui restitué dans sa gloire éclatante. Arthur De Rudder.