L'exposition De Paris 1889
Troisième & quatrième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
L’EXPOSITION CHINOISE
Tardivement installée, trop rapidement
aménagée, l’Exposition chinoise ne donne
qu’une idée confuse des richesses artis-
tiques eide l’étonnante industrie du vaste
Empire du Milieu. Due à 1 initiative pri-
vée de quelques riches négociants de
Canton, étroitement logée dans un espace
de trois cents mètres, elle n’en attire pas
moins une foule considérable, familiari-
sée déjà avec ces conceptions d’un art si
différent du nôtre, égayée par l’infinie
variété des couleurs, impressionnée par
ces merveilleux résultats d un liuvail
patient et obstiné.
Je ne sais ce que l’avenir réserve à la
curiosité de nos petits-neveux, mais nous
aurons vu, nous. Français de ce siècle
qui s’apprête à saluer le monde, suivant
l’expression chinoise, des événements
singuliers, non des fins mais des common-
cements de choses : le continent n ir
dévoilé, l’Empirc du Milieu ouvert.
La muraille des Tsings n’a pas pu bar-
rer la route aux Européens. Gengis-Khan
l’avait trouée, les canons français et
anglais ont élargi la brèche par laquelle
sont entrés quelques milliers de soldats,
par laqu elle sont sortis des millions d’Asia-
tiques. Ils étouffaient dans leur immense
Empire devenu trop étroit pour quatre
cents millions d’êtres humains. Silencieu-
sement ils débordent au dehors, pacifi-
quement ils envahissent l’Océanie, l’Aus-
tralie, les deux Amériques, les Antilles,
les Indes etl’archipel d’Asie,interminable
fleuve d’hommes travailleurs, économes,
sobres, vivant de peu, dépossédant le
blanc, exode redoutable, et menaçant,
revanche de la postérité de Sam sur colle
de Japhet.
L'Europe l’a voulu. L’amiral Seymour
et lord Elgin, le baron Gros et le comte
Poutiatine ont lutté, vaincu et négocié en
son nom. Par les armes et la diplomatie,
ils ont introduit un facteur nouveau dans
les affaires de ce monde et la Chine, vio-
lemment arrachée à son isolement volon-
taire, n’est plus une quantité négligeable
dans les combinaisons politiques, non
plus que dans les complications écono-
miques.
Déjà ses produits envahissent l’Europe.
La mode les adopte. Par leur étonnante
et coûteuse recherche ou par leur fabu-
leux bon marché ils répondent à tous les
goûts, sont accessibles à toutes les bourses,
aussi bien à celles des millionnaires et
des collectionneurs qui se disputent les
merveilleuses broderies, les cloisonnés
d’un travail si fin, d’une tonalité si déli-
cate, qu’à celle du modeste ouvrier que
les vives couleurs des paysages ébauchés
par leur pinceau exercé et les fantastiques
attitudes des personnages séduisent et
amusent. Ces produits affluent dans le
Pavillon chinois, depuis les écorces de
bambou aux capricieuses esquisses jus-
qu'aux ivoires curieusement fouillés, déli-
catement sculptés, chefs-d’œuvre de pa-
tience qui ont pris des années à un ouvrier
payé quelques sous par jour.
Ils excellent dans les broderies. Suivez
sur ce panneau représentant la visite des
oiseaux à leur roi et à leur reine, le tra-
vail savant de l’aiguille, les nuances habi-
lement variées des plumages, le naturel
des poses, le battement des ailes. Plus
loin, Fadcrable coloris des fleurs, les
teintes fug! jves qu’elles empruntent aux
rayons du soleil naissant, tradition du
passé, soigneusement conservée, parfois
servilement reproduite, il est vrai, mais
d'un grand effet. Examinez aussi avec
quelle habileté ils sculptent l’ébène et les
bois durs, rehaussant par des incrusta-
tions de nacre ou d’ivoire les tons foncés
du bois, assoupli, travaillé, découpé en
gracieuses arabesques, en cadres ciselés
destinés à recevoir des écrans brodés.
Sous leurs doigts agiles, sous leur incom-
parable pinceau la porcelaine revêt toutes
les formes, se pare des dessins les plus
variés. En ce genre de travail ils sont
passés maîtres. On les imite, on les copie
etleur étonnante fantaisie se prête à toutes
les conceptions, à toutes les interpréta-
tions.
Eux, ils n’imitent et ne copient per-
sonne qu’eux-mèmes, et si de l’objet d’art
vous passez à l’artiste, du bibelot au ven-
deur, vous retrouvez dans sa tunique de
soie, dans scs babouches feutrées, dans
son traditionnel costume et sa hiératique
attitude l’éternel Chinois figé dans ces
dessins et ces peintures, dans ces para-
vents, sur ces bronzes,’ ces laques, ces
ivoires et ces terres cuites dont plusieurs
remontent à une haute antiquité.
I l n’a pas changé depuis des siècles ; il
est aujourd’hui ce qu’il était il y a mille
ans. Les événements ont passé sur lui
sans impressionner son âme, sans modifier
ses idées, sans diminuer on rien l’inef-
fable dédain que lui inspirent notre civi-
lisation de parvenus, nos goûts et nos
usages, jusqu’à notre costume étriqué,
livrée démocratique sous laquelle toutes
les classes, toutes les conditions sociales
sont confondues. De nous, qu’aurait-il à
apprendre ? En dehors des procédés scien-
tifiques de la force brutale, qu’aurait-il à
nous emprunter? Ses penseurs avaient
tout dit quand ceux de la Grèce balbu-
tiaient à peine; ses législateurs avaient
toutprévu, tou t réglé. Pour lui, le dernier
mot de la sagesse humaine est renfermé
dans le livre tri-métrique, lapolitique et la
science sociale dans les quatre livres clas-
siques, ses traditions et ses croyances
dans les cinq livres sacrés. Ses arts s&
prêtent à toutes les conceptions, depuis
les plus simples' qu’esquisse en quelques-
traits son pinceau léger jusqu’à ces for-
mes bizarres que peuvent seuls enfanter
et comprendre le cerveau opiacé et l’œil
oblique d’un fils du Céleste-Empire.
Vous les retrouvez là : dans ces monstres
grimaçants, dans ces chimères, filles d’un
cauchemar, dans ces serpents aux replis
onduleux, clans ces monstres aux croupes
repliées et tordues qui, se déroulant dans
leurs broderies, enlacent artistiquement
les vases de bronze, dessinant des anses
ou, de leurs gueules démesurément ou-
vertes, laissant s’échapper la fumée odo-
rante des brûle-parfums. Vous les retrou-
vez sur les lanternes et les drapeaux,
dans les albums et sur les toiles, sur les
fines nattes de paille de riz, sur l'ivoire
et sur le santal, sur l’indestructible
faïence qui, mieux que le bronze ou le
marbre, survit à tout, et nous en a plus
révélé sur la civilisation, les mœurs et les
coutumes des Egyptiens et des Etrusques
que les monuments, les tableaux, les fres-
ques, les monnaies et les médailles,
réduits en poussière ou rongés par le lent
travail dos siècles.
Dans cet art étrange, incompréhensible
pour nous, leurs yeux perçoivent ce qui
se dérobe aux nôtres. Ces monstres au
ricanant rictus ont un sens, ces groupes
expriment une pensée. L’animal, la fleur,
le fruit, la plante personnifient une idée
abstraite. Longtemps courbés sous un
joug tyrannique, supporté avec leur fata-
liste patience, ils ont demandé à l’art, de
bonne heure devenu symbolique, un lan-
gage muet, entendu, compris de tous. Là
où notre œil ne discerne que des formes
banales ou dos êtres chimériques, le leur
perçoit un sens, un vœu, un souhait. Là
où vous ne voyez qu’un dragon <4 un
phénix, ils voient l’emblème du mariage;
dans le canard mandarin, raffection con-
jugale. L’oio qui s’étale sur l’écran ou
l’éventail est un souhait de félicité domes-
tique; le sceptre du Bouddah esquissé ou
brodé sur un coussin vous prédit un succès
littéraire, de même que le daim sculpté
est un présage d’honneurs officiels. Les
cinq chauves-souris qui ornent l’assiette
([ue votre hôte vous présente sont l’an-
nonce des cinq bonheurs ; santé, vertu,
longévité, richesse et mort paisible. Les
trois pêches peintes sur votre soucoupe
vous annoncent cent ans de vie.
Leur symbolisme se prête aux plus inat-
tendus rapprochements, à la plus éton-
nante fantaisie, et la fantaisie est la base
meme de leur esthétique. Dédaigneux des