L'exposition De Paris 1889
Troisième & quatrième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
Søgning i bogen
Den bedste måde at søge i bogen er ved at downloade PDF'en og søge i den.
Derved får du fremhævet ordene visuelt direkte på billedet af siden.
Digitaliseret bog
Bogens tekst er maskinlæst, så der kan være en del fejl og mangler.
-^r
L’EXPOSITION DE PARTS
LE PAVILLON DES INDES
Un curieux hasard a juxtaposé, à l’en-
trée de la rue du Caire, celte rue des
Nations de l’Exposition de 1889, le Palais
des Indes au Pavillon havaïen. La vieille
Asie et l’Océanie moderne se rencontrent,
ainsi que le premier et le dernier anneau
•d'une chaîne; la plus vieille civilisation
coudoie la représentante des races polyné-
siennes entrée, depuis cinquante ans à
peine, dans le grand courant commercial
et industriel qui emporte tous les peuples.
Le contraste est saisissant entre cette an-
tique contrée et cette nation naissante,
entre ces produits d’un art raffiné et ces
vestiges de la primitive barbarie qu’enca-
drant les produits exotiques d’une cul-
ture intelligente.
Dans un palais massif, aux arcades
surbaissées, copié sur le modèle d’un pa-
lais de Delhi, Finde anglaise expose à ses
nombreux visiteurs les merveilles de son
industrie. Les visiteurs sc pressent dans
la grande galerie transversale coupée au
milieu par une salle octogonale. Des pi-
lastres sculptés, reproduction des mou-
lages conservés au Kensington Museum,
soutiennent la coupole. Le jour tombe de
haut, tamisant la lumière, éclairant dis-
crètement un amoncellement derichesses.
Dès rentrée, l’odeur subtile du santal,
dos parfums de l’Inde vous enveloppe cl
vous pénètre; on sc sent au seuil d’un
monde étrange et lointain, imprégné
d'idées, de traditions bien différentes des
nôtres, et ce qu’il étale à nos yeux n’est
ni pour modifier cette impression, ni
pour affaiblir cette sensation. Involontai-
rement le promeneur ralentit le pas, il
semble que la molle langueur de ces
pays aimés du soleil le gagne et l’en-
vahisse, qu’il subisse, lui aussi, l’influence
de ces parfums qui flottent dans l’air, que
d’Européen affairé, pour une heure il
devienne nabab indolent, paresseusement
curieux, laissant errer ses regards sui-
de féeriques visions1.
Aux idées qu'elles éveillent il com-
prendra combien est puissante l’influence
du cadre et du milieu, ce qu’il faut d’ef-
forts à l’homme pour s’y soustraire et
se ressaisir lui-même. Intuitivement il
devinera ce que doit être la vie de ces
exilés volontaires de nos climats tempérés
sous le ciel éclatant, dans cette brûlante
atmosphère où tout conspire pour déten-
dre les ressorts do la volonté, affaiblir le
corps et amollir l’àme. Car tout ici parle
de mollesse et de repos, de journées
étouffantes et de nuits étoilées, de par-
-1. Voir dans le n° 40 de l’Exposition de Paris, page .316,
leux vues du Pavillon des Indes.
fums et de fleurs, de luxe et de jouis-
sances.
Tout y parle aussi d’une vie différente
do la nôtre, d’une organisation sociale
«mire. Ces noirs Hindous vêtus de blanc,
serviteurs silencieux et obséquieux qui
s’empressent autour des passants attablés,
réveillent les idées de caste, de servage,
du prestige et do la domination de
l’Européen. On entrevoit, sous ce ciel
presque blanc, semé de poussière d’or,
l’Anglais invisible, anémique et pâle,
réfugié dans son comptoir, dans son bun-
galow ou son palais officiel, gouvernant,
comme à Singapore, au nombre de trois
cents, une population do 200,000 âmes,
dont 100,000 Chinois. On entrevoit ces
villes enfouies sous la verdure, comme
Madras, sillonnée de longues et magni-
fiques avenues sur lesquelles les maisons,
avides d’air, ouvrent leurs vérandas
profondes et leurs colonnades fleuries.
Sous l’épaisse ramée fourmillent des
formes à demi nues étalant leurs torses
bronzés, une foule en tuniques roses,
blanches, oranges ou brunes, tout un flot
d’êtres humains aux couleurs vives sous
un rayon de soleil liltranl au travers des
feuilles, puis soudainement replongé dans
l’ombre.
« L’Empereur do Chino et moi, (lisait
mi vice-roi des Indes, nous gouvernons
la moitié du goure humain. » Et il disait
vrai. Six cent soixante millions d’hommes
obéissaient à leurs ordres, courbés sous
le joug le plus autocratique qui fut jamais
et si, de nos jours, l’Inde anglaise n’est
plus pressurée comme elle le fut autre-
fois, si dans ccs masses profondes s’infil-
trent des idées nouvelles, le traditionnel
respect étouffe encore des revendications
menaçantes.
Ici, la civilisation européenne se heurte
à des obstacles imprévus qui ne laissent
pas ([lie d’en contrarier le mécanisme. Il
n’y a pas longtemps que le directeur de
l’exploitation du chemin de fer de Madras
recevait d’un chef de gare le télégramme
suivant : « Tigers on lhe platform, stall'
frightened. Pray arrange » : « Tigres sur
le quai de la station. Employés pris de
peur. Prière d’y pourvoir. »
El Ton y pourvoit; comme on a pourvu
à des cas plus graves, à des complica-
tions autrement menaçantes-; gouverneret
maintenir dans l’obéissance 260 millions
d'hommes à l’aide d’une poignée de fonc-
tionnaires et de 60,000 soldats anglais
n’est possible qu’à la condition d’enrôler
les vaincus au service des vainqueurs,
d’imiter Rome recrutant parmi les barba-
res les légions qui tenaient les barbares
en échec, conception téméraire qui long-
temps réussit à l’Empire romain, comme
elle réussit à l’empire britannique, niais
conception dangereuse qui repose unique-
ment sur le prestige des vainqueurs aux
yeux des vaincus. Or le prestige a deux
ennemis : l’insuccès n'importe où, et la
discussion. L’un le ruine, l’autre le mine.
Puis il faut que l’auréole matérielle
rehausse et consacre ce prestige moral
aux yeux d’une population habituée au
luxe de scs maharajas. Tout nouveau venu
dans l’Inde s’étonne do la somptuosité,
exagérée pour lui, des hauts fonction-
naires, de la magnificence du service, de
la foule des serviteurs, du nombre des
équipages et des chevaux, de la splendeur
des livrées. Cet appareil quelque peu
théâtral est nécessaire. Dans ces cerveaux
asiatiques le respect pénètre par les yeux.
Ainsi entendu et pratiqué, le luxe est une
barrière interposée entre l’administrateur
cl l'administré ; le premier en paraît plus
grand au second.
Dans le frais patio du Palais des Indes,
dans ce demi-jour discret qui adoucit la
tonalité trop vive des étoffes, le miroite-
ment des cuivres et les feux des pierres
précieuses, les riches lapis de Cashmire
étalon!, leurs nuances savamment variées.
Les Saris lamés d’or, vêtements des vo-
luptueuses Nautchies, déroulent leurs
tissus légers et soyeux. Devant cos plis
transparents, qui voilent sans les cacher
les formes statuesques, rinde des baya-
dères revit. Autour des fins poignets, des
chevilles plus fines encore s’enrouleront
ces lourds bracelets d’argent massii, cu-
rieusement travaillés, à la fois chaînes et
parures; aux cous sveltes s’agraferont ces
colliers de pierres de lune, pierres lai-
teuses do l’IIimalaya, ces topazes, ccs
émeraudes du Malabar, ces saphirs et
ccs rubis do Ceylan, ccs turquoises de
Michàpour.
Agiles par leurs mains expertes, cos
éventails de Kuss-Knss jetteront dans l’air
leur parfum poivré et, auxyeux, le miroi-
tement de leurs paillettes d’or. Devant le
trône du Maharaja de Mysore, du mélan-
colique cl beau Bahadour surchargé de
pierreries, elles dérouleront leurs on-
doyantes théories et, par leurs danses
savantes, ramèneront un sourire sur les
lèvres de l’idole hautaine, vivante et
muette devant son peuple prosterné.
Les coupes et les vases d’argent ciselé,
d’un merveilleux travail, révèlent l’éton-
nante patience et la science consommée
de l'artiste. Les casques de bronze damas-
quinés d’argent nous parlent do l'Inde
féodale. Los fins coquillages de Madras
caressent le regard deleursreflets d’opale,
de leurs changeantes couleurs; puis les
aiguières et les coupes de Cashmire, de
Calcutta jettent leurs vives notes jaunes
qui s’éteignent dans le brun rougeâtre des
cuivres aux fantastiques dessins.