L'exposition De Paris 1889
Troisième & quatrième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L'EXPOSITION DE PARTS
LA PROMENADE DU DRAGON
Le Français est né malin, assurent les
classiques ; c’est mgpie 4 ,cette malice
qu’est généralement attribuée rinv.ention
du vaudeville.: le Chinois, lui, naît bour-
reau.
Son imagination se plaît à tout ce qui
)est anbrmal, étrange; phénoménal : les
■oiseaux qu’il brode sur ses soieries ou
qu’il peint sur ses potiches ont des têtes
grimaçantes, des griffes de lion et des
queues invraisemblables ; il y a des géné-
rations ilé’ savants du Céleste-Empire qui
ont voué leur existence à rechercher le
Imoyen d’empêcher les arbres de grandir :
:cet art singulier produit des chênes cen-
tenaires qui sont hauts comme des géra-
niums; la femme chinoise n’est gracieuse
qu’autant qu’elle est estropiée, et, pour
plaire, elle fait de ses pieds d’informes et
d'inutiles moignons... et celte tendance
générale es t parfaitement caractérisée par
le culte que tous les habitants de l’Empirc
du Milieu professent pour le dragon, l’a-
nimal fabuleux par excôllcnce, la bête à
tète de dogue, à queue de poisson, à corps
de serpent et à crinière de lion.
Lorsque los Annamites occupés à colo-
niser TEsplanade des Invalides rencôn Iront
un des Chinois qui circulent dans l’Expo-
sition, ils l’appellent : mon oncle. Ce
vocable, usité dans touffe l’Indo-Chine,
suffit pour nous faire soupçonner les affi-
nités ethniques qui existent entre ces doux
nations : môme physique, même langage,
mêmes mœurs, mémo religion; et c’est
ainsi qu’à certains soirs il nous.a été donné
de voir, — que n’a-t-on pas vu à Paris
depuis quatre mois? — défiler à travers
les pagodes et les cases exotiques de
l’Esplanade un cortège du dragon qui
! n’avait rien à envier aux plus étonnantes
processions qu’on rencontre dans les rues
de Pékin, le jour de la fêle du Fils du
Ciel.
Même la cérémonie se complète ici de
la Façon la plus pittoresque par la présence
des indigènes gabonais, arabes, canaques
et autres qui prennent docilement leur
place au cortège : c’est la plus intéres-
sante revue que l’on puisse passer do toute
la population exotique do l’Exposition.
Huit heures ! la foule des curieux est
massée aux abords de la longue tente qui
traverse l’Esplanade dans sa longueur;
(‘lie s'entasse sous les portiques des pa-
godes, sur les perrons des maisons anna-
mites, sons les arcades mauresques des
pavillons d’Alger et de Tunis : soudain ce
décor étrange s’allume... des flammes de
E ° ?
couleur entourent dune vapeur rose ou
î; bleue la pyramide dorée qui surmonte le
temple d’Angkor, un grand remous se
fait dans la foule, les tètes s’agitent, se
penchent pour voir... C’est d’abord,
graves sur leurs petits chevaux à tète
fine, des cavaliers arabes, la carabine
damasquinée au poing, couverts d’un
grand manteau léger qui flotte; puis, un
groupe de porteurs d’oriflammes et fle
drapeaux triangulaires, suivis de la Nouba
qui fait rage : voici les Okandas et los
Loangos et, traînées dans des pousse-
pousse, les aimées du concert algérien qu e
la foule reconnaît et applaudit. Puis, ce
sont les musiciens javanais secouant rude-
ment leurs bambous aux sonorités de
cloches, et précédant les danseuses au
casque d’or, à l’allure hiératique do
; divinités indouos. Voilà dos tètes grima-
çantes, des longues barbes, des masques
de porcelaine, des robes de soie brochées
d'or et couvertes de pierreries, c'est le
personnel du théâtre annamite qu’escor-
tent les figurants, pieds nus, agitant des
oriflammes...
Un gong, deux gongs, des tam-tam :
voici 1’Annam, avec ses parasols sacrés
réservés aux mandarins, scs dais cylin-
driques tout ruisselants de franges d’or,
ses palanquins laqués et mystérieusement
voilés de rideaux de soie : en Chine, on
les remplit de comestibles, de fruits, de
porcs entiers rôtis qu’on va, après la fète,
manger dans la pagode. Voici enfin
l'énorme dragon do trente mètres de long,
la gueule ouverte, grimaçante, (pii semble
vouloir dévorer la foule, sur laquelle il
projette, dans ses mouvements ondulés,
les effrayants regards vitreux de ses énor-
mes yeux d’émail.
Et le cortège s’écoule ainsi, étrange,
bruyant, coloré comme un tableau de
Benjamin Constant, empruntant aux
flammes de Bengale qui s’allument sur
son passage un reflet du soleil de l’Orient :
et par les auvents ouverts de la pagode
de la Grande Tranquillité on voit les
bonzes, graves, immobiles dans leurs
longues robes, prosternés devant le
Bouddha au gr s ventre; et là-haut, des
fumées vertes et roses s’élèvent des mi-
narets du palais tunisien, et les pagodes
flamboient, cl les architectures se décou-
pent sur des fonds embrasés... tandis
qu’on entend auloin la sy mphonie étrange
du cortège qui va s’éteignant, se perdant
sous les arbres : cris gutturaux, appels
bizarres en langue inconnue, frémisse-
ments de tam-tam, grondement des
gongs... c’est féerique!
Car, c’est une chose à remarquer,
F Annamite que rien ne semble émouvoir,
qui parait vivre dans le silence, qui, lors-
qu'il est gai, ce qui est rare, rit d’un rire
muet et silencieux, d’une tristesse na-
vrante, F Annamite aime le bruit : lors-
qu’il veut témoigner une émotion quel-
conque, ne se fiant sans doute pas aux
moyens naturels dont, il est doué, il s’em-
pare d une cymbale ou d’un gong et il
tape dessus à coups redoublés : ses chants
sont des hurlements maladifs et perçants
assez semblables aux plaintes d’un chien
i\m.aboieà lalune; sa mimique est désor-
donnée, scs gestes sont fous... puis, ses
sentiments ainsi exprimés, il sc replonge
dans son indolence, et met tranquillement
de côté sa cymbale ou son gong.
Cet amour du charivari forme le plus
étonnant contraste avec sa vie contem-
plative et sa patience au travail; des gens
qui mettent dix ans à apprendre l’alpha-
bet, et qui passent des mois à sculpter,
accroupis ou couchés sur le ventre, le
couvercle d’une boite à gants, sont évi-
demment doués d’une patience à toute
épreuve. C’est chez eux, au village anna-
mite, qu’il faut aller les surprendre ;
M. Viterbo, un colon du Tonkin qui habite
depuis cinq ans notre colonie d’extrême
Orient, a monté là divers ateliers do
laqueurs, de fondeurs, d’incrusteurs, de
brodeurs, de bijoutiers où se fabriquent
de véritables merveilles.
Vous verrez là des panneaux de bois,
sculptés, fouillés, évidés, d’un style char-
mant et d'une originalité très artistique :
j’ai souvenir d’une cuve à liqueurs d’une
finesse de travail et d’une délicatesse do
sculpture qui tiennent du prodige.
Et l’on se demande comment dans ces
ateliers où le matériel rudimentaire res-
semble au mobilier d’une hutte de Robin-
son, sous ccs mains calleuses qui semblent
lourdes et maladroites, peuvent naître de
telles merveilles de goût, de style et d'in-
vention.
G. Lenôtre.
LE PRISONNIER A L’EXPOSITION1
Mais revenons à l’Exposition pénitentiaire.
Voici l’image du supplice infligé au cadavre de
Jacques Clément « lequel, dit avec un regret sau-
vage, la chronique, fust mal à propos tué sur-le-
champ » ; c’est l’écartèlement à quatre chevaux.
Voici encore une estampe rappelant le supplice
de Ravaillac, et le procès-verbal de sa condam-
nation. Il sera « tenaillé aux mamelles, bras,
cuisses et gras des jambes... et sur les endroits
où il sera tenaillé, seront jetés du plomb fondu,
de l’huile bouillante, de la poix, résine brû-
lantes, de la cire et soufre fondus ensemble.
Son père et sa mère vuideront le royaume avec
défense d’y revenir jamais, à peine d’être pendus
et étranglés sans forme ni figure de procès. » Et
il fut ainsi fait : un imagier du temps nous a
complaisamment retracé le spectacle de ces
barbaries. — Lisez encore, sur les murs, le ré-
cit de l’exécution de Damiens. Il y fut rivalisé
d’ingéniosité dans la torture : ce fut un délire
de cruauté.
1. Voir le n° 61.