L'exposition De Paris 1889
Troisième & quatrième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L EXPOSITION DE PARIS
PARADOXE SUR L’EXPOSITION
Non pas qu’il fil précisément froid,
l’autre soir, à l’Esplanado des Invalides,
seulement un léger frisquet! Pourtant
les visiteurs étaient rares. Et partout,
autour de l’enceinte javanaise, dans la
solitude relative des petites rues à nom
africain, nos exotiques erraient, noirs ou
jaunes, mais tous tristes et s’inquiétant
de ce premier souffle ennemi.
Les nègres avaient des cache-nez; et
les traîneurs de pousse-pousse, dédai-
gneux d’un vain pittoresque, s’enfon-
çaient bravement, par-dessus les oreilles,
certaine coiffure pyramidale proche pa-
rente, hélas! du vulgaire bonnet de coton.
Seuls, les Kabyles, enveloppés de grands
burnous, semblaient attendre les événe-
ments sans trop d’eflïoi, au seuil de leurs
chaudes petites maisons montagnardes.
Quelques boutiques luisaient encore :
débitante de liqueur des îles dissimulant
sous les plis d’un châle les oripeaux de
son corsage et ses seins couleur chocolat ;
marchand juif se garant du courant d’air
derrière une pile de tapis et d’étoffes aux
couleurs vives; cafetier maure qui, phi-
losophiquement, au fond d’une logette
déserte, laisse reposer ses cafetières et se
réchauffe les mains aux braises du four-
neau.
Quelques invisibles musiques, des
taraboukas, des guitares, s’obstinaient
encore à sonner avec un bruit lointain de
cigales mourantes.
Puis, l’heure du couvre-feu sonnant,
tout s’éteignit et tout sc lut. L’une après
l’autre, sous les tentes et sous les gourbis,
les ombres errantes disparurent. Et, un
subit coup de vent s’étant mis à souffler
du côté des quais, cases couvertes de
bambous, pagodes aux ornements d’or,
blancs minarets., vertes coupoles, tout ce
paysage de soleil que, pour plus de cou-
leur locale, hérissaient çà et là les
pointes d’un cactus en exil, frémit enve-
loppé dans un tourbillon de feuilles
mortes.
C’était l’Automne, presque l’Hiver,
disant avec une éloquence mélancolique
non pus que l’Exposition fût finie, mais
que bientôt elle allait finir.
Voyez-vous Paris, dans un mois, doux
mois, se réveillant un matin sans son
Exposition? Et je me mis à songer au
grand silence qui allait se faire subite-
ment après tant de vacarme et de fêtes.
La songerie amène le rêve, le rêve,
fleur capricieuse qui, plongeant d’invisi-
blos racines dans l’humus de nos tristes
jours, n’ouvre sa bizarre corolle, où
tremble l'eau d’illusion, que sons le re-
gard discret des étoiles !
Je rêvai donc, une fois dans mon lit, la
nuit arrivée, et, naturellement, c’est
d’Exposition que je rêvai.
Le terme fatal avait sonné, mais il ne
s’agissait plus de la détruire. Suivant un
désir généralement exprimé et avec l'as-
sentiment des autorités compétentes, on
se contentait de la transformer.
Des congrès d'artistes et d’ingénieurs
s’assemblaient sous la Tour Eiffel, et,
chacun apportant ses arguments et son
projet, on discutait cette question grave.
Monsieur Renan — pourquoi monsieur
Ronan? —avait la parole et disait :
— « Tout doit aller par juste équilibre,
et ccs Méridionaux, d’ailleurs honnêtes,
menaient <i la fin trop île bruit. La chose
se continuant, avec * ant (le tambours et
de taraboukas de fai andoles déroulées et
de ventres remués en mesure, les Pari-
siens bientôt devenaient Marseillais elles
Marseillais devenaient nègres. On chan-
geait notre douce France!
« L hiver a bien fait de venir.
« C est à nous maintenant, à vous plu-
tôt Messieurs, de perfectionner l’hiver.
L’homme n’est-il pas un dieu ? Qui sait
jusqu où son influence gouverne!
« Je ne veux citer qu’un exemple. Vous
rappelez-vous ccttc série non interrom-
pue de nuits tièdes et de beaux jours, ce
ciel d’azur, ce clair soleil incendiant les
petites rues entre deux rangées de mai-
sons blanches, réchauffant les arbres des
pays lointains qui croyaient avoir rclroii \ é
leur patrie et mettant le désir natal do la
musique et la danse — musiques endor-
mantes et bruyantes comme un chaud
Midi, danses faites de langueur et de sen-
suelle paresse, —au cœur des Javanaises
couleur d’or qui sont des Vénus minus-
cules, au cœur des Soudaniennes dont la
peau de salin noir recouvrant un corps
de lignes si pures semble au penseur un
grain de beauté démesurément étendu.
« Eh bien! celte chaleur, ce vif soleil,
juelque chose me dit do croire que Java-
naises et Soudaniennes l’avaient apporté
dans leurs yeux.
« Oui, Messieurs, quand on a su créer
l’Equateur au sein do Paris, rien n’est
plus simple que d’y improviser le Pôle.
« Puisque lesracescoloréessontparties,
ayons une Exposition blanche, neigeuse,
resplendissante de cristaux. l’Exposition
du bonhomme Noël, s’il m’est permis de
le dire.
« H suffit peut-être pour ceL de con-
voquer là-haut dans leur glace du Nord,
où notre Exposition Universelle pourtant
les oublia, Sibériens, Lapons, Groënlan-
dais et Samoièdos ; les frimas viendront
avec eux, et, s’ils no venaient pas, la
science, soyez-en sûrs, y suppléerait par
ses féeries... »
Et tout à coup, sous un coup de ba-
guette, comme s’il eût été question de
monter une simple Ode triomphale, la
transformation S’opéra.
C’est seulement le 5 janvier que je pus
faire ma première visite à l’Exposition
d’hiver.
On n’y avait rien changé, bien entendu,
à l’ordonnance intérieure Quelques mil-
liers de calorifères convenablement instal-
lés suffisaient à faire régner une douce
chaleur dans les galeries. Mais sur lepour-
tour, de bizarres constructions s’étaient
élevées et toute une flore boréale avait
eu le temps de pousser.
Couvertdefourrures et lafigurc fouettée
agréablement d’un air pur où semblaient
flotter des milliers d’aiguilles, j’arrivai au
pont d’Iéna en traîneau.
Je ne reconnus pas d’abord le Troca-
déro. couvert d’une forêt de hauts sapins
aux noirs branchages, que faisait plier un
faix de neige et d’où pendait Ja barbe
nacrée des lichens. D’ailleurs, en passant,
j’avais vu une foule innombrable patiner
sur la Seine et un bateau-mouche; pris
par les glaces dans les parages de Port
à-f Anglais, sc préparer à l’hivernage
Sur (Esplanade, rue du Caire, main
tenantrue du Kamtchatka, cen’étaientque
cabanes en écorces de bouleaux ou mai-
sonnettes en neige battue.
Dans ces maisonnettes décorées de
toutes sortes de petits dieux polaires des
sorciers sibériens donnaient leurs séances
d’art magique, des poètes samoièdes di-
saient leurs légendes et, l’amour étant de
tous les pays, chantaient aussi des chan-
sons d’amour, tandis que déjeunes Lapon-
nes, ointes d’huile fraîche pour la circon-
stance, en pantalon de peau, en jaquette
brodée et couvertes de bijoux d’argent,
offraient aux assistants des boissons bizar-
res fartes dp lait aigri et do baies sauva-
ges fermentées, en mémo temps que des
plats en bois chargés de poissons secs,
histoire de s’entretenir la soif. Et les heu-
res passaient charmantes, dans cette cha-
leur assoupissante, en songeant au froid
du dehors.
Je ne parle que pour mémoire d’une
troupe de Bohémiennes moscovites, qui,
avec leurs costumes bariolés et leurs
danses, nous firent presque oublier l’in-
comparable Macaronna et les gitanas de
Grenade
Au surplus, rue du Caire, comme à
l'Esplanade, où n’étaient plus les pousse-
pousse annamites ni les âniers vêtus de
bleu, on voyageait assez confortablement
dans de petits chariots traînés par des
chiens et des rennes.
Mais rien ne saurait dire le spectacle
du Champ de Mars, le soir, avec son dôme
central intérieurement illuminé dont les