JOURNEE DU 19 BRUMAIRE.
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nous sommes libres ici. » Et il propose que tous les membres du Conseil renouvellent individuellement le serment å la Constitution. Cette motion est adoptée avec enthousiasme aux cris de Vive la Constitution, å bas les dictateurs, å bas les Césars et les Cromwells! Et le frére du général, Lucien Bonaparte, qui préside le Conseil, préte lui-meme le serment.
Bonaparte attendait avec Sieyés dans une piéce du palais située entre les salles des deux assemblées. Il juge que les Cinq-Cents sont complétement hostiles. Si les Anciens font cause commune avec eux, tout est perdu. Or les Anciens eux-mémes sont ébranlés; ce qui le prouve, c’est la longueur de leur délibération. Bonaparte, irrité de ces lenteurs, se rend au milieu d’eux et, dans un discours saccadé, quelque peu incohérent, se plaint qu’on l’abreuve de calomnies, affirme qu’il ne veut pas opprimer la liberté, qu’il ne fait que se rendre aux ordres que le Conseil des Anciens lui a donnés : « Que le Conseil parle, dit-il, qu’ilprenne des mesures, me voilapourles exécuter. Sauvonsla liberté, sauvons l’égalité! )) Unmembre républicain, noinmé Linglet, se léve : « Général, nous applaudissons å ce que vous dites; jurez done avec nous obéissance å la Constitution de l’an III, qui seule peut sauver la République. 2 Le Conseil est surpris; Bonaparte est déconcertc, mais, se ressaisissant bientot : « La constitution, dit-il, mais vous n’en avez plus : vous l’avez violée au 18 fructidor, au 22 floréal, au 30 prairial. La constitution! mais elle est invoquée par toutes les factions, et elle a été violée par toutes. Elle ne peut étre pour nous un moyen de salut parce qu’elle n’obtient plus le respect de personne. Tous les partis concourent å la détruire. » 11 ajoute méme qu’il a regu des confi-dences et qu’il citera des noms. Un long tumulte suit ; Bonaparte, å bout d’arguments, recourt å la menace : « Sauvez la République; envi-ronné de mes compagnons d’armes je saurai vous seconder; si quelque orateur payé par l’étranger osait parler de me mettre hors la loi, j’en appellerai å, mes soldats. Songez que je marche accompagné du dieu de la Fortune et du dieu de la Guerre! » Ses ennemis se taisent, ses amis applaudissent, le président lui donne les honneurs de la séance.