12
NAPOLEON I".
du travail fécond auquel il se livre, de la vie qui s’ouvre devant lui : « Pourma pensée, Brienne est ma patrie, » et, comme on l’a dit, « il pardonne å la France devenue pour lui materneile. » Lui-méme se jugeait ainsi : « Matete alors commengaitå fermenter; j’avais besoin d’apprendre et de savoir. Je dévorais les livres. Bientot il ne fut bruit que de moi dans l’Ecole; j’étais admiré, envié; j’avais la conscience de mes forces, je jouissais de ma suprématie. »
Sur ces entrefaites, il fut désigné pour aller suivre å Paris les cours de l’Ecole militaire. Un inspecteur, envoyé par le ministre, choisis-sait dans les douze écoles royales de France les sujets les plus dignes de recevoir une éducation supérieure. C’était le chevalier de Kéralio, ancien officier, dont le caractére plein de dignité et de bienveillance, l’intelligence élevée et cultivée, le patriotisme simple et communicatif, avaient la plus heureuse action sur les jeunes gens dont il s’occupait (1). II avait du reste donné pour le public la mesure de sa capacité dans des articles du Journal des Savants, et de remarquables travaux d’histoire politique et militaire l’avaient fait entrer å 1’Académie des inscriptions et belles-lettres. Il fut frappé des réponses de Napoleon, de sa vigueur d’esprit et des qualités peu communes dont il faisait déjå preuve. L’éléve n’avait brillamment répondu que sur les mathé-matiques et ses maitres voulaient le garder une année encore. Le Chevalier de Kéralio s’y refusa : « Je sais ce que je fais, dit-il, en appelant ce jeune homme si töt å Paris; j’aper§ois ici une étincelle qu’on ne saurait trop cultiver. )) Bonaparte quitta Brienne avec les notes suivan-tes : elles sont moins flatteuses que les paroles de l’inspecteur général :
« M. de Buonaparte (Napoléon), né le 15 aoüt 1769, taille de quatre pieds dix pouces dix lignes. De bonne Constitution. Caractére soumis. Excellente santé. Il a fait sa quatriéme. Honnéte et reconnaissant. Sa conduite est trés reguliere. Il s’est toujours distingaé par son application aux mathématiques : il sait passablement l’histoire et la géographie. Il est faible dans les exercices d’agrément. Mérite de passer ä l’Ecole de Paris. »
(1) On peut juger de l’heureuse Impression que laissait l’enseignement de M. de Kéralio aux futurs officiers qui écoutaient ses le?ons ou profitaient de ses entretiens, par ce qu’en dit M. de Vaublanc dans le deuxiéme chapitre de ses Mémoires. Ce chapitre nous fait trés bien connaitre quel était le régime matériel et moral des écoles militaires å la fin du dix-huitiéme siécle.