380
NAPOLEON 1«.
robuste : il mourut au fort de Joux, en 1803. « En nie renversant, disait-il, on n’a abattu que le trone de la liberté des noirs; il repoussera par les racines. »
Cette prédiction se réalisait au moment méme de sa mort. Ledere avait été emporté par ]a fiévre jaune, le 14 juillet 1802. Rocliambeau, qui lui succéda (c’était le fils du général de la guerre d’Amérique), fut forcé de capituler entre les mains de Dessaliues, l’année suivante. La paix d’Amiens venait d’étre rompue et lui enlevait tout espoir cle recevoir des renforts.
La rupture de la paix d’Amiens marquant le début de cette lutte inexorable et sans tréve, qui ne devait finir que par la ruine compléte d’un des deux combattants, il importe d’en déterminer le caractére et l’origine.
La principale, peut-étre, de ces causes fut la revolution, sociale ct économique qui s’accomplissait en Angleterre depuis le commencement du dix-huitiéme siécle, cau.se å laquelle on n’a pas toujours donné sa véritable importance. Car il ne s’agit pas lå cl’une suite de faits éclatants ou de quelque tragedie sanglante qui frappe l’imagi-nation et se fixe dans le souvenir, ni ais de transformations graduelles.
L’Angleterre présente cette évolution å peu pres unique dans l’histoire moderne d’une société qui, s’étant développée dans le sens démocratique, redevient ensuite une aristocratie (1). On a peine å croire que 1’Angleterre était encore, au milieu du dix-septiéme siécle, un pays essentiellement pastoral et agricole, que l’industrie y était presque nulle, les voies de Communications rares et difficiles (2) et la propriété tres divisée. C’est cette classe de petits propriétaires qui fait alors le fond de la nation anglaise et c’est d’elle que sort la classe dirigeante, la gentry, qui domine le gouver-nement.
La gentry est une classe privilégiée, mais c’est la richesse fonciére qui fonde le privilége et elle est ouverte å tous : la gentry n’a done ri en. de féodal, elle absorbe l’ancienne noblesse, et les pairs n’y out qu’un droit de préséance. Mais la gentry, comme la noblesse plébéienne de Rome, voulut, lorsqu’elle se sentit forte, se séparer du reste du peuple, et, au lieu d’une classe ouverte, incessamment reerutée par F accession de la classe moyenne qui s’éléve, elle va constituer l’aristocratie la plus hautaine, la plus fortement unie de l’Europe, celle qui va lutter avec acharnement contre la Révolutiou frangaise.
La propriété étant tres divisée et ne laissant en dehors d’elle que les misérables,
(1) Voir la leeture faite i 1’Académie des Sciences morales et politiques par M. Boutmy (numéro d’aoüt-septembre 1886), La Revolution industrielle et agraire en Angleterre au dix-huitiéme siécle.
(2) Le premier canal de l’Angleterre date de 1755.