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NAPOLEON I01’.
le général parfait du siege de Toulon fort bien, ou. du moins il nous intéressait en nous en entretenant. Il parlait beaucoup et s’animait en racontant; mais il avait des jours aussi oii il ne sortait pas d’un. morne silence. On le disait tres pauvre et fier comme un Écossais; il refusait d’aller étre général dans la Vendée et de quitter l’artillerie. C’est mon arme, répétait-il souvent, ce qui nous faisait beaucoup rire. Nous ne com-prenions pas, nous autres jeunes filles, comment l’artillerie, des canons, pouvaient servir d’épée ä quelqu’un. Je me rajSpelle encore que le maximum régnait alors. On payait toutes les provisions et le pain. en assignats, aussi les paysans n’apportaient-ils lien au marché. Quand on invitait quelqu’un å diner, il apportait son pain; quand tine M"'e de N***, notre voisine de Campagne, dinait ä la maison, elle apportait un morceau d’excellent pain blåne dont elle me donnait la moitié. On dépensait å la maison peut-étre cinq ou six francs, en argent, toutes les semaines. Je congois bien que le général Bonaparte, qui n’avait que sa payeen assignats, fut si pauvre. Il n’avait nullement l’air militaire, sabreur, bravache, grossier; il me semble aujourd’hui qu’on lisait dans les contours de sa bouclic si fine, si dclicfite, si bien sirretcc, (ju il mcpiisait le dan-ger et que le dauger ne le mettait pas en colére. »
Cependant Aubry avait été reinplacé å la guerre par Doulcet de Pontécoulant, homme plus clairvoyant et plus droit, qui comprit ce que valait Bonaparte. Stendhal raconte d’uae maniére piquante coin-inent ils entrérent en relations. Nous reproduisons presque compléte-ment ce récit.
« Un jour, le représentant Boissy-d’Anglas disait å un. de ses collégues de la Convention qu’il conn aissait un jeune homme qui avait été chassé de l’armée d’Italie comme terroriste et, seion lui, ä tort. «Il a des idées, ajouta-t-i], et pourrait peut-étre « vons donner de bons renseignements. — Envoyez-le-moi, dit M. de Pontécoulant. »
< c Le lendemain, il vit arriver a son sixiéme etage du pavillon de Flore le protégé de Boissy-d’Anglas. Boissy-d’Anglas lui avait dit qu’il s’appelait le général Bonaparte; mais M. de Pontécoulant n’avait pas retenu ce nom singulier; il trouva pourtant que eet inconnu ne raisonnait point mal. « Mettez par écrit tout ce que vous m’avez dit; « faites-en un mémoire et apportez-le-moi, lui dit-il. »
— Quelques jours aprés M. de Pontécoulant, rencontrant Boissy-d’Anglas, lui, dit : « J’ai vil votre honinic; mais il cst fou. apparemment, il n est pas rcvenu.
— C’est qu’il a eru que vous vous moquiez dc lui; il croyait que vous le feriez tra-« vailler avec vous.
— Eh bien, qu’å cela ne tienne; engagez-le å revenir demain. » Bonaparte vint, remit gravement son mémoire, et s’en allii. M. de 1 ontéeoulant se le fit lire pendant qu’on lui faisait la barbe, et il en futtellement frappe, qu’il fit courir aprés le jeune homme; mais on ne le trouva plus dans l’escalier; il revint le lendemain. Aprés avoir raisonné des faits énonoés dans le mémoire : « Voudriez-vous travailler avec moi ? lui