Ornementation Usuelle
De Toutes Les Époques Dans Les Arts Industriels Et En Architecture
Forfatter: Rodolphe Pfnor
År: 1866-1867
Forlag: La Librarie Artistique de e. Devienne et Cie
Sted: Paris
Sider: 418
UDK: 745.04 Pfn
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Seulement, prenons garde à l’excès, qui est notre chute mi-
gnonne et favorite. Le bien devient le mal par exagération : in-
digestion vaut empoisonnement
Voulez-vous, par exemple, débiter et refendre cette planche
de chêne devenue panneau, la percer, la découper, la creuser en
toutes profondeurs, figures et fantaisies? La scie à ruban sans fin
va s’en emparer et y entrer comme le fil de laiton des beurriéres
dans leur douce et molle marchandise. Voulez-vous plus fort?
Approchez de cet autre engin un bout de bois quadrangulaire :
en quatre coups vous recevrez un balustre selon les profils que
vous aurez déterminés; une bûche, à peine dégrossie, sortira de
la colonne octogone, avec des détails à désespérer la main. Je
suis allé voir fonctionner, dans les puissants ateliers de Mazaroz,
la plupart de ces outils animés qui sont déjà d’un si grand or-
gueil; j’ai ressenti ce qu’il a fallu que tout individu ressentît en
voyant passer le premier train d’un chemin de fer, je ne sais
quelle volupté mêlée d’épouvante, un partage étrange d’inquié-
tude douloureuse et d’admiration splendide. Dans mon saisisse-
ment, cette question me venait aux lèvres : « Génie de l’homme,
est-ce au bonheur ou au malheur que tu nous conduis? » Voilà qui
supprime la fatigue, et j’en suis fier; voilà qui, au moyen d’un
quart de cheval et d’un conducteur, fait le travail de vingt ou-
vriers raboteurs de moulures ou blanchisseurs polisseurs de bois;
le fabricant s'en réjouit, et moi aussi peut-être, car ces fonctions
étaient bêtes. Mais ce qui va plus loin, par l’abolition de l’ému-
lation , ne conclut-il pas tout doucement à la suppression du ta-
lent? La scie peut passer; mais la toupie est terrible !
J’ai peur que cette toupie ne soit grosse de la machine à scul-
pter, et alors, que le ciel nous préserve de l’accouchement ! Ce
serait la perte de l’art dans le meuble, qui est encore son meilleur
gîte chez nous. Où trouver plus beau pour lui que le bois et le
bronze? Et sans esprit l’art est-il possible? Non, puisqu’il est
un esprit et ne saurait exister sans lui-même. Une moulure mé-
canique se comprend, étant, par son fait, répétée, continue, ina-
nimée; tirez des moulures tant que vous voudrez; mais un
ornement! Ici,halte et respect, prodigues inventeurs! Lerôledes
machines doit être de laisser l’homme aux conceptions de son
cerveau, libre, fort, dispos, soulagé des difficultés matérielles.
Arrivé là, le rôle des machines cesse. Servantes, toujours; con-
currentes, jamais.
L'idée de la scie à ruban sans fin, qui remplace par une des-
cente rapide et perpétuelle l’ancienne déchirure du va-et-vient,
remonte, dit-on, à Vaucanson. Il mourut au moment où il l’appli-
quait. Depuis elle fut reprise et menée à bien par un malheureux
qui s’est coupà la gorge. Découverte est volontiers semence de
suicide ; qui trouve, trouve toujours trop tôt : c’est la loi. Dura
lex. Si donc la misère et le doute doivent revenir de droit à ces
travailleurs de la veille, sachons au moins comment ils s’appe-
laient pour les honorer d’un peu de gloire. Le malheureux se
nommait Pauæels ou Powels. L’or et la joie, comme de juste,
ont été pour ses successeurs. Us ne s’en plaignent pas, pourvu
qu’ils ne partagent guère ! Un ouvrier du grand fabricant Périn
avait à l’Exposition le miraculeux spécimen de tout ce qui peut
être fait à la scie; qu’aura-t-il eu pour ce travail insensé? Des
reproches, peut-être, ou l’expulsion ; les maîtres n’aiment pas
qu’on fasse du bruit.
La toupie est bien une autre affaire. A qui en attribuer l’inven-
tion, on ne sait. Vers 1834, un homme habile en ébénisterie,
Emile Grimpé, offrit au gouvernement le moyen mécanique de
fabriquer des bois de fusil. Une commission fut nommée et ce
fut tout. En 1838, l’inventeur prit un brevet qui porte : « Em-
ploi d’outils tranchants disposés sur la circonférence de disques
mobiles. » Était-ce la toupie ? Si le brevet ne le dit pas, les sur-
prenants travaux laissés par le breveté sembleraient le dire. Le
jury de 1839 décerna une récompense à M. Grimpé.
En 1811, touché des peines énormes que se donnaient pour peu
d’argent les sabotiers de son pays, M. Durod, ancien élève de
l’école deChâlons, imagina une machine àfaire les sabots.C’était,
paraît-il, une mèche « coupant à la fois par le bout et par les cô-
tés, et animée d’un mouvement de rotation rapide.» Cette mèche
« se promenait dans toutes les directions et permettait de finir
tout aussi bien que de dégrossir. » Voilà qui ressemble singuliè-
rement à notre toupie actuelle ; quel heureux écumeur aura ra-
massé et transmis celle-là? On ne vous prendra pas dix sôus, mais
une invention ! J’ai vu fonctionner chez Mazaroz une machine
que M. Périn fabrique. Son labeur étourdit l’imagination. Voici
ce que c’est. La grande difficulté de l’exécution des vrais meu-
bles en bois massif consistait jusqu’ici à prendre les sculptures
dans la masse du panneau. Ce qu’il fallait enlever d’épaisseur,
pour dégager le fond du massif, demandait beaucoup de temps et
laissait toujours, affligeantes à l'œil, les traces onduleuses du pas-
sage de la gouge. Certains s’en tiraient en faisant sculpter leurs
motifs à même de morceaux de bois rapportés sur un fond mince
et lisse : cela tenait ou ne tenait pas.
Or, en moins de temps que n’en demandait cet assemblage de
bois, mariage forcé, dit Mazaroz, que les parties s'empressaient
toujours de rompre, la machine fabriquée chez M. Périn, au
moyen de mèches coupant en bout et s’abaissant ou se levant à
volonté, supprime la matière inutile avec la propreté du rabot et
la vélocité de la scie. C’est véritablement une merveille que de
voir cette toupie à deux manivelles si douces se promener, invin-
cible et obéissante, dans tous les détours que le crayon lui a tra-
cés , et les nettoyer comme l’éclair.
Car c’est là une toupie, ni plus ni moins, et le mot dit bien la
chose. De même que celle de Guilliet, d’Auxerre, à faire les mou-
lures cintrées. Figurez-vous un arbre mécanique vertical mû par
une courroie molle, brochant sur elle-même afin d’assurer l’em-
placement parfait dudit arbre. Celui-ci fait trois mille tours à la
minute ; c’est honnête, et voilà pourquoi on l’appelle toupie. Un
outil circulaire en acier y est adapté, ressemblant à une fleur,
rose ou tulipe quelconque, selon le profil qu’il s’agit d’obtenir :
son ajustement consiste en un pas de vis à l’inverse du mouve-
ment. Il est entaillé six ou huit fois dans sa circonférence, et les
entailles, légèrement repoussées en dehors, forment autant de
parties coupantes. Trois mille tours et huit coupants représentent
donc vingt-quatre mille coupures de bois par minutes ? Pauvre
outil à la tâche dans la main fatiguée de l’homme, qu’êtes-vous à
côté de ceci ? Cette rotation sans pareille implique naturellement
une facilité de conduite très-grande : un enfant, en effet, pousse-
rait là-dessus le plus gros profil cintré qui se fasse; outre que la
pièce de Lois donnée ainsi à dévorer glisse, polie elle-même,
sur une table en fer poli. Seulement, gare à vos doigts !
Dans une maison comme celle de Mazaroz, ces magiques ins-
truments réalisent l’économie de trente-cinq paires de bras sur
quatre-vingts. C’est un topique assez sûr contre les grèves : c’est
aussi, il faut le prévoir et s’y attendre, la disparition prochaine
et complète du métier. Machines à raboter, tours ovales, mèches
à mortaises, à moulures, à rainures, outils mécaniques à faire les