Ornementation Usuelle
De Toutes Les Époques Dans Les Arts Industriels Et En Architecture
Forfatter: Rodolphe Pfnor
År: 1866-1867
Forlag: La Librarie Artistique de e. Devienne et Cie
Sted: Paris
Sider: 418
UDK: 745.04 Pfn
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plus souvent, à rien de bon. La camelote, cette pieuvre, nous a
pris et nous gouverne ; peau sans chair, écorce sans bois, pelure
sans fruit! La camelote est en tout et partout, et s’en vante.
Elle nous nourrit, nous habille, et nous orne et nous loge. On en
tire nos plaisirs et notre enseignement, notre littérature et notre
politique journalières, nos arts industriels et les autres. J’ai vu,
il n'y a pas longtemps, une fabrique de meubles en boulle où
l’écaille est fausse, la corne fausse, la nacre fausse, et l’ivoire
contrefait par le bois de houx. Le cuivre seul est vrai, parce que
la science appliquée à l’industrie n’a pas encore trouvé son imi-
tation ; mais elle y viendra, gardez-vous d’en clouter.
De même pour le bois. Quand Boulle l’employait dans son tra-
vail, c’était du bois d’ébène : on a renoncé savamment à l’ébène
pour pratiquer le poirier noirci, sous prétexte que l’ébène est un
bois gras, mal portant, capricieux, difficile à manier, qui se fend,
se gerce, prend mal la colle et repousse le vernis ; de sorte qu’au-
jourd’hui, un fabricant de meubles s’appelle ébéniste à condition
de- ne voir presque jamais d’ébène. Le grand bahutier do
Louis XIV ne trouvait pas tant de dégoûts au magnifique bois si
maltraité par notre main-d’œuvre maligne et discoureuse. Il ne
s’inquiétait guère, à la vérité, comment le vernis y tiendrait,
puisqu’il ne vernissait pas ses meubles. J’en sais un qui s’en va
de son art, à l’heure qu’il est, et se fiait à l’ébène tout autant que
Boulle ; c’est Chaix, auteur de la pinacothèque elliptique qu’on
admirait dans le vestibule de l’Exposition. Un architecte, celui-ci,
un poëte et un prêtre du meuble, quittant l'état en nous laissant
ce chef-d’œuvre,.parce qu’il croit l’état perdu. Pourquoi, maîtres,
avoir de ces fatigues et de ces frayeurs, au lieu de prendre les
choses comme elles sont et selon le temps où elles se font? Un
autre soleil luira quelqu’un de ces matins !
Voici comment on fait le meuble de boulle. Le dessinateur
trace un dessin, jeu quelconque d’arabesques ou autres choses fan-
tastiques, sorti de sa tête ou trouvé dans un recueil. L’ébéniste,
là-dessus, prend une feuille de cuivre laminé et une feuille de
bois, ou de corne, ou d’écaille. L’écaille, matière la plus riche et
la plus chère, est de deux espèces. Il y a l’écaille franche des
Antilles, souvent mauvaise et galeuse, mais favorable au travail
commun, quoique ne se souciant pas, parce qu’elle est mince,
égale, et qu’un peu de vermillon carminé lui donne un rouge
faux et transparent qui n’est pas désagréable. Il y a aussi l’écaille
de l’Inde, dont le Japon, l’an passé, nous montrait un bassin de
20,000 francs, belle et rare, celle-là, épaisse, opaque, iné-
gale, réclamant l’apprêteur et le soudeur; elle ne sert qu’aux
travaux relativement précieux, et reçoit volontiers une prépa-
ration en noir qui la rend magnifiquement austère.
Les deux feuilles ci-dessus sont superposées et solidement
Axées. L’une d’elles reçoit le trait du dessin imaginé par l’artiste,
qui parfois exécute ce trait lui-même et sur place. Puis arrive le
découpeur, avec sa scie capillaire, qui suit le trait au travers
des deux épaisseurs. Chacune donnant la même figure, ce qui est
cuivre entrera dans l’autre matière, et réciproquement; c’est
três-ingénieux et très-facile. Comme, aujourd’hui, nous ne tenons
pas essentiellement à la variété des dessins, folle et coûteuse
fierté des anciens, qui ne se répétaient pas plus dans un meuble
que dans une église, nous lions l’un sur l’autre jusqu’à six ou
huit doubles, et nous les découpons tous ensemble. Une grande
économie, comme bien vous pensez.
Ceci obtenu,on assemble les découpures et on les plaque selon
l’ordonnance, sur la bonne ou mauvaise caisse en bois honnête ou
malhonnête qui sert de charpente à l’objet. On encadre les dessus
et les panneaux avec du cuivre; on enrichit les coins, les mon-
tants, les pieds., les poignées, les serrures avec du bronze. Ce qui
s’entend par ce mot sonore de bronze, j’aurai l’honneur de vous
le dire plus tard. Il y a tels ornements en métal que des mar-
chands vendent trente sous la livre tout faits, avec les trous pour
passer les clous. Il y en a aussi qui sont superbes, comme ceux
que j’ai vus chez Frédéric Roux et chez Grohé, les deux ébénistes
de Paris qui possèdent la plus belle collection de modèles. Mais
prenez seulement ce grossier kilogramme de cuivraille jaune et
informe qui coûte 3 francs et donnez 30 francs à un cise-
leur, vous voilà quasi avec de la marchandise du premier ordre.
Or pourquoi , disent la plupart, donner trente francs à un cise-
leur ? Est-ce que le public s’y connaît ? Cela reluit, cela suffît.
Le malheur, c’est qu’à force d’avoir été d’une part abusé, de
l'autre corné et seriné, le public commence à s’y connaître.
Un beau meuble de chambre à coucher en nouveau boulle, lit,
commode, secrétaire, entre-deux, etc., doit coûter de 15 à
20,000 fr., mais la même quantité en camelote vous sera livrée
très-aisément pour 1,800 fr. Une commode honnête, à ciselures
passables même, vaut de 12 à 1,500 fr. : en placage à’écaille de
gélatine — une invention qui a fait son homme fameux et mil-
lionnaire — vous l’aurez pour 100 fr. J’ai vu chez ce pauvre cher
Wassmus, fournisseur sacrifié de la Couronne, une armoire
dont il demandait 10,000 fr.; ce n’était que son temps payé et sa
marchandise, non pas son art, bien s’en fallait. Le cadre incom-
parable qu’il a exposé l’année dernière lui coûtait plus de
6,000 fr., le prix d’un lit estimable que me montrait un jour
Frédéric Roux. C’est du mobilier qui ne convient pas à tout le
monde. Il y faut du goût ou de l’orgueil. Un célèbre tailleur a
payé un lit 4,000 fr. à Cornu jeune; mais une ancienne coquo-
tière, sa rivale, encore belle et assez richement retirée, me faisait
voir un jour le sien, dont elle est fière ; il peut bien valoir 100
écus. II est en faux et elle le croit en vrai; je n’ai pas voulu la
détromper, c’est peut-être sa dernière illusion! Je lui ai fait seu-
lement observer que les appliques en métal avaient encore leurs
bavures, et étaient clouées sur le bois sans qu’on se fût même
donné la peine de fraiser la tête des clous, ce qui pouvait avoir
de l’inconvénient pour les volants et les dentelles de ses visi-
teuses. Elle a mal pris l’observation.
Le faux boulle est fabriqué, en général, par les ouvriers en
chambre, des choutiers, comme on dit, qui travaillent pour les
commissionnaires et les marchands de curiosités. Ceux-là ne des-
sinent, ne découpent ni n’assemblent leurs motifs; ils trouvent
des incrustations toutes préparées chez les faiseurs spéciaux.
La chose qu’on leur vend ressemble assez au procédé employé
pour rentoiler un tableau. L’arabesque ou le sujet étant exécuté
et placé dans une feuille de bois teint ou de fausse écaille dite
écaille-Pinson, on colle proprement le tout sur du papier fort :
l’ébéniste reçoit la feuille ainsi doublée et la plaque à l’envers;
bien collée, sur son meuble : après quoi il enlève le papier, et
voilà une œuvre faite. Il livre au marchand un entre-deux à deux
portes d’un mètre de large sur cent vingt centimètres de haut,
pour 200 fr., et même moins. L’objet est étalé, l’amateur idiot
passe, s’arrête, croit à du vrai et à du vieux, d’autant plus vrai
et plus vieux que les cuivres sont plus horribles, — car c’est là
un des articles de notre ignorance en fait de meubles; — il entre,
et le regrattier lui prend son argent selon sa trompette (lisez
figure.)