ForsideBøgerL'exposition De Paris 188… deuxième volumes réunis

L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis

År: 1889

Forlag: A La Librarie Illustree

Sted: Paris

Sider: 324

UDK: St.f. 061.4(100)Paris

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Side af 462 Forrige Næste
L’EXPOSITION PE PARTS 213 comme le parfum empoisonné d’une fleur de mance- nillier. Le corps de ballet se compose de cinq femmes et d’un homme, personnage effacé qui danse seulement avec la bonggms; cette bayadère populaire, tant soit peu courtisane, va modestement, de village en village, là où on l’appelle et où on la paie. Tout autres sont les quatre Tandak, Sarrkiem, Tha- mina, Soukia et. Ouakiham, dont la plus jeune a douze ans et l’ainée seize. Elles sont la propriété de Manka Negara, prince indépendant qui les a choisies parmi son corps de ballet, composé de soixante sujets et qui ne les a prêtées que grâce à l’active intervention de M. Gores de Vries, délégué du Comité néerlandais, dont le père a rendu les plus importants services à la colonie. Les artistes, les amoureux du nouveau, sauront donc un gré infini au jeune et sympathique commissaire qui a su mener à bien la difficile mission dont il était chargé. Les Tandak sont nées dans la forteressa du sultan, d’où elles ne sont jamais sorties et qu’elles ne quitte- ront que pour épouser, à l’époque indiquée par les rites, un homme de leur pays de Djogjakarta, la patrie sacrée des danseuses. A Java, la profession de ballerine n’implique nulle- ment la vie joyeuse et les mœurs passablement foli- chonnes des jeunes personnes vouées, en Europe, au culte de Terpsichore. L’existence retirée et chaste que mènent ces vierges, leur naissance, leur situation à la cour, sont au contraire la cause d’un profond respect et d’un véritable prestige, que l’on comprendra quand on saura que des mères, des femmes, des sœurs, des filles de princes, ont été danseuses — Tandak seule- ment, bien entendu— et que Manka Negara lui-même La Buvette. (Construite sur le modèle des pagodes javanaises.) a esquissé, dans sa jeunesse, quelques pas devant son auguste père. Les danses exécutées par ces corps de ballets spé- ciaux présentent, il est vrai, un sentiment essentielle- ment national qui doit peser sur le jugement de la foule et prêter à leurs interprètes une sorte de caractère mystique et sacré. Les danseuses javanaises sont vêtues de somptueux costumes reproduisant presque identiquement certains bas-reliefs trouvés dans les ruines khmers, bas-reliefs qui doivent remonter au n« siècle avant Jésus- Christ. On sait que les premiers édifices khmers, quoi- que élevés dans le Cambodge siamois, ont élé édifiés par Préa Thong, fils exilé d'un souverain do Delhi, qui conserva précieusement et le culte et les traditions dø sa patrie. On ne s’imagine pas à quel point la tra- dition est encore omnipotente à Java, môme auprès des castes supérieures et intelligentes. Un fait probant entre autres : Pendant le séjour de M. Gores de Vries à la cour de Manka Negara, dont l’étiquette aurait, paraît-il, donné l'aspect d’un simple roi constitutionnel à Louis XIV, un cavalier, entouré d’une brillante escorte, vint excuser son maître, le résident voisin, de ne pouvoir assister au tournoi auquel l’avait convié le sultan. Celui-ci reçut l’envoyé avec tout le faste oriental, et le chargea d’exprimer au résident le profond chagrin que celte absence inopinée lui causait. Or, il y a deux siècles que le tournoi en question n’a plus lieu à Djogjakarta ; mais, depuis deux cents ans; et régu- lièrement une fois par semaine, le prince résident s excuse auprès de son voisin, qui lui retourne céré- monieusement l’assurance de ses regrets. Ainsi le veut la tradition. Les danseuses elles-mêmes n’évoquent- elles pas tout un passé mort? D’un corselet de soie sans manches sortent des torses graciles, des épaules délicates, des corps souples, des formes d’une exquise et indécise mièvrerie, qui parais- sent hésiter entre l’enfance et la puberté. La peau nue est enduite d’un fard composé de poudre de riz, do Magasin de riz. safran et de fleui’s sauvages. Sous le pagne d’ëtoffe précieuse qui est roulé autour des hanches et descend aux chevilles, on aperçoit une courte culotte de velours qui s’arrête aux genoux ; une ceinture richement brodée serre la taille et flotte entre les jambes;, les bras grêles sont cerclés de lourds bracelets ; les cous fléchissent sons les colliers et les bijoux ; les têtes sont casquées de tiares sacerdotales à la silhouette capricieuse, au cimieremplumé.aux frontaux patiem- ment fouillés qui font penser à Sa- lammbô — la vierge moitié reine et. moi- tié prêtresse — et, aux affolantes hal- lucinations de Gus- tave Moreau. Une de ces coif- fures est en or mas- sif; les autres sont en cuir doré et garni de pierres pré- cieuses. Mais l’orchestre — lo kamelong — pré- lude. Les musiciens jouent sur des xylo- phones et des jeux de gongs de diffé- rentes dimensions ; ils modulent une mélopée monotone et mélancolique qui ne manque ni de charme ni de poésie. Aussitôt les danseuses se lèvent, les quatre statues s’animent. Sans bruit, sans un sourire, sans qu’un Après la représentation. muscle de leur visage tressaille, elles commencent une pantomime lente, grave, nuageuse, à peine ébauchée, scandée de poses hiératiques qui leur donnent l’aspect d’idoles. Elles glissent dans une marche de rêve, les pieds presque immobiles, imposant aux torses des ondu- lations de reptile, agitant mollement les bras, don- nant une intensité extraordinaire d’expression aux mains, tantôt menaçantes et tantôt caressantes, agressives ou enlaçantes, haineuses ou tendres, pas- sionnées et parlantes. Elles tournent doucement, leurs yeux d’émail fixés dans le vide; d’un geste languide, enfantin ou lascif, elles écartent leurs ceintures, puis s’en couvrent chastement les épaules. Et leur panto- mime raconte, sous une forme symbolique, les jours heureux d autrefois, les légendes sacrées, la vie et les amours de leurs rois, les hauts faits de leurs héros, les splendeurs à jamais éteintes de la race hindoue. Il y a une navrance si résignée au fond de ces danses bercées par le rythme pleurard du kamelong que, pou à peu, l’on se sent gagné par une tristesse ambiante indéfinissable. Les jours pluvieux de niai, rien n’était plus curieux que de voir le corps de ballet de Sa Hautesse Jlanka Negara se rendre, de la salle de concert, à la case qui lui est réservée à l’extrémité du kampong, où ces demoiselles habitent avec la sœur, le père et la mère de l’une d’elles. Gênées par les mules auxquelles leurs pieds, ordinai- rement nus, ne sont pas habitués, elles marchaient maladroitement, cahotant, sautillant, cherchant à éviter les flaques de boue où elles pataugeaient mal- gré elles, serrant sur leurs épaules de mauvais châles achetés chez lé mercier du coin, qui juraient étrange- ment à côté da leurs splendides costumes exotiques. Avec ces plumes, ces ors, ces chatoiements d’étolTes, cette orgie de couleurs bariolées, elles avaient l’aspect de ces pauvres petits oiseaux des tropiques mélancoli- quement pelotonnés dans une cage, qui paraissent si désorientés et si grelottants. Touchées de leurs mines piteuses, des dames du faubourg envoyèrent de luxueuses sorties de bal à Sarrkiem, Thamina, Soukia et Ouakiham. Les Java- naises furent ravies de ces cadeaux, mais elles gardè- rent leurs tricots à vingt-cinq sous. Les sorties de bal ont été soigneusement placées dans des caisses où est empilé tout ce qui leur appartient, et il ne serait guère prudent d’aller y fouiller. Un curieux qui avait tenté, en leur absence, d’ex- plorer ces mystérieuses malles, fut surpris par elles et ces jeunes chats sauvages faillirent lui faire un mauvais parti. Je ne parle pas aujourd’hui des curieuses marion- nettes disposées sur l’estrade, derrière les danseuses. J’y reviendrai probablement lors de l’inauguration des ombres chinoises, qui sont, après la danse, la passion favorite des Javanais. Fiiantz Jourdain.