L'exposition De Paris 1889
Premier & deuxième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
LA JOAILLERIE ET LA BIJOUTERIE
Si l’on donnait aux dames à choisir une
classe dont elles pourraient emporter les
objets, aucune n’hésiterait, sans doute.
Elles prendraient la classe 37, joaillerie et
bijouterie. Et si l’on donnait aux mes-
sieurs à choisir, je parie qu’il en est bien
peu qui ne feraient point comme les
dames. Aucune partie de l’Exposition ne
contient, en effet, réunie sur un aussi
petit espace, une pareille quantité de
richesses. 11 y en a bien pour quarante à
quarante-cinq millions. La caverne d’Ali-
Baba serait pâle auprès des feux dont
élincelle cet entassement de perles et de
diamants.
La plus raffinée des industries s’est
ainsi donné la plus élégante des instal-
lations. La grâce sobre de ses vitrines
Louis XV en bois naturel encadre fort
bien ses éblouissants étalages. Une inno-
vation fort appréciée des exposants mérite
d'être signalée, car elle pourrait être
reprise en d’autres occasions. Derrière
les vitrines sont ménagés de petits salons
qu’ils se sont partagés entre eux. Ils s’y
reposent, ils y peuvent recevoir un client,
ils y ont installé des coffres-forts où
joyaux et bijoux reposent la nuit sous la
triple sauvegarde de serrures perfec-
tionnées, de grilles puissantes et de gar-
diens spéciaux sûrs. Ces petits salons
sont d’une grande commodité.
La classe est divisée en trois parties.
Au centre brille la joaillerie; la bijouterie
fine occupe une extrémité, et la bijouterie
d’imitation l’autre. Une voie centrale la
traverse et une voie circulaire en fait le
tour. Celle-ci est un peu délaissée du
public, qui enfile la voie centrale sans se
clouter qu’il néglige sur les côtés plus de
trésors qu’il n’en faudrait pour tourner la
tète à toutes les sultanes d’Orient.
Il court tout de suite à une minuscule
vitrine dressée an centre de la salle. Un
caillou, gros comme un bouchon de
carafe, y tourne sur un pivot sous une
cage de verre. Inclinez-vous si vous avez
le respect des royautés ; c'est, en elfet, le
plus grand et le plus beau des diamants
connus. Il pèse 180 carats, 44 de plus que
le Régent, 74 de plus que le Kohinoor.
Un prospectus donne sur ce personnage
considérable les renseignements suivants,
que je me ferais un scrupule de ne point
vous communiquer :
« Lorsque la reine d’Angleterre mani-
festa le désir de voir ce diamant, le prince
de Galles, qui était présent à l’exhibition,
s’écria : « C’est un diamant impérial ! »
— La pierre était baptisée, c’est le nom
qu’elle portera toujours.
« Elle a été taillée à Amsterdam, sous
la direction et la surveillance d’un comité
composé de trois des premiers lapidaires
de cette ville; — la reine de Hollande
était présente, lorsqu’on lui a appliqué la
première facette. Il a fallu dix-huit mois
pour la finir entièrement. »
Son poids original en étal brut était
de 457 carats; pour lui donner une forme
agréable, on en a détaché un morceau de
45 carats qui, taillé lui-même, a fourni
encore un brillant de 20 carats. J’ajoute
qu’il a été trouvé au Cap et qu’il appar-
tient à un syndicat de joailliers anglais et
français. Il a fallu associer un certain
nombre de fortunes pour couvrir une
telle acquisition. Combien vaut-il? Etant
unique, il est inestimable. Le prix dé-
pendra des offres des concurrents. Et ils
ne, sont nombreux, ni parmi los particu-
liers, ni même parmi les souverains, les
enchérisseurs qui peuvent mettre plu-
sieurs millions à une pierre.
La joaillerie et la bijouterie française
luttent sur le marché international contre
les difficultés que rencontrent toutes nos
industries de luxe. Ces difficultés tiennent
au profond changement qui s’est fait en
ce siècle dans l’àme des peuples. Personne
n’a plus contribué que la France, avec ses
nobles théories sur la liberté humaine, à
l’éveil du sentiment national chez les
divers groupes ethniques de l’Europe,
et personne n’en a plus souffert. On sait
ce qu’il nous en coûte en politique, on
remarque moins ce que nous y avons
perdu en comnaerçe. Au xvnie siècle, la
France était la reine de la mode, elle don-
nait le ton, et les autres pays suivaient.
Nos industriels et nos artistes n’avaient
qu’à obéir à leur goût pour être au goût
do toute l’Europe. Mais l’éveil du senti-
ment national a eu pour corollaire l’éveil
du goût national. A mesure qu'un peuple
prenait plus fortement possession do sa
personnalité, il devenait plus rebelle aux
influences extérieures.
Il s’est passé un peu partout ce que
M. Piel, le président de la chambre syndi-
cale de la bijouterie d’imitation, racontait
de. l’Angleterre devant la commission d’en-
quête de 1881. Encore l’Angleterre est-
elle un pays do forte originalité. D'autres
exemples seraient bien plus frappants.
Mais j’ai celui-là sous la main.
« Les Anglais, disait 31. Piel, ontaujour-
d’hui un goût que j’appellerai national, qui
leur plaît : l’article français ne fait plus
d’effet chez eux. Je puis mémo vous rap-
porterlefait suivant : un négociant anglais
a voulu essayer d'introduire des bijoux
français dans son pays ; il a acheté pour
10,000 francs de joaillerie; il était en-
chanté de son achat et dos pièces qu'il
avait choisies. 11 arrive en Angleterre, ii
expose ces objets à sa vitrine et il trouve |
aussitôt qu’ils ne lui plaisent plus. Trans-
plantés à Londres, ils ne faisaient plus
du tout le même effet qu’à Paris. »
Pour affranchir leur pays de l’étranger,
les gouvernements ont partout aidé de
leur mieux à ce développement du goût
national. Quand nous avons commencé à
nous préoccuper sérieusement de l’état
des industries d’art en Europe, il y a
quelques années, nous avons découvert
avec surprise combien l’enseignement du
dessin avait été répandu autour de nous.
De riches particuliers se sont associés à
ce mouvement d’émancipation avec une
générosité dont nous n’avons point d’vlée
en France. Devant la même commission
d’enquête, M. Falize citait un Mécène
anglais, M. Morrisson, qui, pour fournir
des modèles à ses compatriotes, a acheté
pour 1,800,000 francs d’incrustation à
Luozaga, le grand artiste espagnol.
Comment nos industries de luxe triom-
phent-elles de ce particularisme crois-
sant et maintiennent-elles Jour situation
acquise? En s’efforçant d’atteindre la per-
fection. Du moment que la provenance
française n’est plus par elle-même une
recommandation, elles sont condamnées,
sous peine de mort, à être supérieures en
art à leurs rivales. La vraie beauté, en
effet, ne connaît pas de frontière ; il n’y
a pas de goût national qui tienne devant
un objet parfait. Il est parfait aussi bien
à Saint-Pétersbourg ou à Madrid qu’à
Paris.
L’exposilion de joaillerie offre à ce point
de vue quelques vitrines qu'il est impos-
sible d’examiner sans orgueil, et, j’ose le
dire, sans émotion patriotique. Elles sont
irrésistibles et les étrangers n’y résistent
point. Je n’en voudrais pour preuve
qu’une parure de 175,000 francs que j’ai
vu vendre sous mes yeux.
Depuis quelque temps nous assistons
à un renouvellement complet de la déco-
ration sous l’influence de l’Extrême-
Orient. Nos artistes abandonnent les for-
mes conventionnelles et vont demander
leurs modèles directement à la nature.
Cette intéressante évolution, la joaillerie
l’avait commencée spontanément avant
l’avènement du japonisme. Très avancée
déjà à l’Exposition de 1878, on peut la
considérer aujourd’hui comme achevée.
Les broches exposées sont particulière-
ment intéressantes : elles représentent
soit une branche fleurie, soit, plus rare-
ment, des insectes. Admirez d’abord avec
quelle sincérité la physionomie indi-
viduelle des feuilles, leurs attaches, le
port des fleurs, tous les caractères qui
dillerencient une espèce d’une autre, sont
étudiés. Admirez ensuite avec quel esprit
cos caractères sont rendus; combien sont
significatives les dispositions choisies.