Exposition Universelle Internationale De Bruxelles 1910,
Organe Officiel De L'exposition, Vol. II
Forfatter: E. Rossel
År: 1910
Sider: 500
UDK: St.f. 061.4(100)Bryssel
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L’EXPOSITION DE BRUXELLES
A froid, dans le particulier, il n’est personne
qui ne sache à peu près à quoi s’en tenir sur
ce que ces belles phrases veulent dire. Mais
dans la chaleur communicative de ce long ban-
quet qu’est une exposition, il n’est personne
qui ne s’y laisse plus ou moins prendre. Quand
on s’est promené tout un jour dans cette Cos-
LE RETOUR DU CORTÈGE ROYAL LE 23 AVRIL.
mopolis en staff, qu’on a vu d’innombrables
images des richesses entassées, on ne demande
pas mieux que de croire à là fraternité indus-
trielle des peuples, à la splendeur de l’effort
humain, à l’avenir mirifique de tous les peuples
et de toutes les races. On est assez disposé à
admettre que notre civilisation économique
s’achemine vers sa perfection, et dans cet édifice
on concède à chaque peuple son rôle : à celui-ci
l’empire du goût, à cet autre celui de la force
organisée. Tel possède en partage l’énergie
colonisatrice, tel autre l’ingéniosité industrielle.
L’un s’efforce de réaliser la justice sociale ;
l’autre brille dans l’art d’un éclat incomparable.
Et l’émulation qui les fait se surveiller les uns
les autres est encore un bienfait. Décidément,
Pangloss avait raison : tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes.
A tout cela, l’esprit critique, « l’esprit qui nie »
aurait bien des choses a répliquer. Ces discours
sonores sont prononcés par des gens que leur
profession oblige à tout trouver admirable. A
ces statistiques étalées en de magnifiques ta-
bleaux officiels, répondent des statistiques non
officielles. Ces richesses accumulées sont des
simulacres de richesses, comme le marbre de ces
palais, le bronze de ces statues, les sculptures
de ces salles de fête sont des simulacres de
marbre, des simulacres de bronze, des simula-
cres de sculptures. Tout cela, c’est un bluff gi-
gantesque, dont tout le monde est à la fois dupe
et complice.
L’esprit critique a peut-être raison, il a pro-
bablement raison. Seulement, toute notre civi-
lisation industrielle, dont les expositions sont
l’image et le résumé, apparaissent à l’esprit cri-
tique comme un bluff gigantesque dont tout le
monde est à la fois dupe et complice.
Et il faut qu’il en soit ainsi.
Nietzsche, qui est quelquefois tout autre chose
qu’un philosophe pour snobs, a écrit de fort
bellés pages sur les illusions nécessaires. La vie
sociale ne pourrait pas se perpétuer, ni s’enrichir
sans certains mensonges, sans certains faux-
semblants. Parmi ces mensonges, parmi ces illu-
sions, on rencontre au premier rang l’illusion
du progrès et l’illusion de la richesse.
11 est fort possible que le progrès ne soit
qu’un leurre, que ce que l’animal gagne d’un
côté, il le perde de l'autre. Mais pour vivre il
faut une raison de vivre : la foi dans le pro-
grès est la meilleure qu’ait trouvé le monde
moderne.
L’illusion de la richesse : que représentent ces
chiffres énormes, ces entreprises gigantesques
qui remplissent l’humanité d’admiration et de
confiance en elle-même ? Très probablement,
des évaluations hasardeuses, très probablement
des spéculations sur le crédit, c’est-à-dire sur
l’avenir. Les individus, les Etats, la société tout
entière escompte l’avenir. Tous nous faisons
fonds sur les générations futures, soit que nous
nous disions, comme trop de gens le font au-
jourd’hui: « Après nous le déluge '>, soit que
nous ayons en nos successeurs une foi sincère
et solide. Imaginez un de ces désastres comme
en connut l’antiquité, une invasion de barbares,
un « chambardement » universel, tous les Etats,
l’Europe, le monde entier ferait banqueroute et
toutes ces richesses accumulées s’évanouiraient
comme par enchantement. Nos villes immenses,
nos palais, nos usines colossales, ne seraient pas
beaucoup plus utiles à nos descendants que les
arènes romaines ou les pyramides ne le furent
aux petites sociétés engourdies qui succédèrent
aux grands empires de l’antiquité. Seulement, si
sous prétexte que ces catastrophes sont possi-
bles, nous nous prenions à avoir peur de l’ave-
nir, nous n’entreprendrions plus rien de grand,
st tout le travail que des entreprises chimériques
engendrent, tout le bien-être qu’elles répandent
en faisant circuler les capitaux, en suscitant le
labeur des ouvriers, n’existerait pas. Quand bien
même il serait démontré que la confiance en
l’avenir est ce qu’il y a de plus chimérique, il
faudrait l’enseigner, parce qu’elle est utile à
la Vie.
C’est pourquoi les expositions, qui entretien-
nent cette confiance, sont utiles, et, en effet, il
est empiriquement démontré qu’elles surexcitent
l’énergie sociale. Plusieurs d’entre elles ont été
pour leurs actionnaires de mauvaises spécula-
tions, mais toutes, en provoquant de véritables
fièvres de travail, ont accru le bien-être, l’ac-
tivité, la « productivité » des villes qu’elles ont
un instant animées. Elles sont pour les villes ce
que sont pour les individus ces heureuses crises
d’optimisme où tout semble aisé. C’est pourquoi
elles ne réussissent jamais mieux que chez un
peuple optimiste comme le nôtre, et Bruxelles,
le Bruxelles que nous connaissons, Bruxelles
si heureux de vivre, semble la ville prédestinée
des expositions. Avec ses rues larges et claires,
cet amour du confortable qui frappe tous les
étrangers qui nous visitent, n’est-il pas comme
un grand hôtel international, qui sourit à tout le
monde, et où tout le monde trouve à se dis-
traire : l’artiste a nos vieux monuments et nos
musées; l’homme pratique ra le spectacle de
notre activité économique ; le public, le gros
public trouve chez nous la joie des théâtres,
des restaurants, d'une fête cordiale et facile.
Dans le livre plein d'observations fines qu’il
intitule l’Esprit belge, le poète Charles Morice
a écrit ces lignes :
« Une femme, tel m’apparaît Bruxelles, une
femme dont la beauté a trente ans, le cœur
quinze, et l’esprit, que de siècles ! Elle est fière
sans pose, et n’a pas choisi son attitude. Ses
habits de fête, elle les porte avec orgueil, ses
habits de travail avec aisance. A l’ombre de sa
forêt, on l’a bousculée jadis, et saccagée, la
belle fille ; la bonne fille n’en garde point de
rancune. Troussée mille fois et détroussée, il
lui en est resté (chaque fois le souvenir seulement
d’avoir été aimée. »
L’image est juste et jolie. Bruxelles, antique
carrefour des peuples européens, vieille auberge
des princes en exil, est demeurée singulièrement
accueillante. Pendant l’Exposition, elle fera la
meilleure mine du monde aux étrangers qui la
viendront voir, et ceux-ci lui rendront en sym-
pathie ce qu’elle leur aura donné de cordialité.
Elle se fera connaître, elle peut se faire con-
naître, et les milliers de braves gens qui ont
édifié de vastes espérances sur la grande foire
du Solbosch auront finalement raison.
L. Dumont-Wildem.