Exposition Universelle Internationale De Bruxelles 1910,
Organe Officiel De L'exposition, Vol. II
Forfatter: E. Rossel
År: 1910
Sider: 500
UDK: St.f. 061.4(100)Bryssel
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L’EXPOSITION DE BRUXELLES
que cette terre d’élection est arrosée tous les
jours, à heure presque fixe, comme un jardin, et
que le tonnerre unit quotidiennement ses gron-
dements à la voix sourde des quarante-cinq vol-
cans de l’archipel de Java. Le reste de l’habita-
tion, la charpente, est encore en bambou, en
rotin, en bois de tack. Pour unir les charpentes,
l’habile artisan n’emploie ni une ferraille ni un
seul clou ; pour ligature, encore du rotin et pour
joindre plus étroitement, des chevilles de bois.
C’est beau d’être Américain pour avoir chez
soi des gratte-ciel dont la construction demande
une armée de travailleurs, le concours de nom-
breuses industries et des matières diverses in-
nombrables. Mais, à côté de ces grandeurs écra-
santes, les petits métiers, qui nous ramènent à
une notion plus naturelle et plus riante de la vie
ont bien aussi leur charme et leur beauté.
Dans le pavillon des Indes, plus loin, nous
trouvons les ouvrages de ceux qui tressent la
fibre. Nous voyons même des vanniers en per-
sonne. Ils travaillent sans hâte, avec des mou-
vements réfléchis, qui ont le temps d’être parfois
gracieux, et n’ont jamais cette allure épileptique
que donne la hâte, à nos cigarettières, par exem-
ple. Ceux-là tressent la fibre, bien appuyés à
la cloison de leur case et s’interrompent pour
causer. Homme ni femme ne se dépêche. Eux
aussi ont dans leur Bible quelque maxime ana-
logue à celle de Salomon :« A chaque jour suffit
sa peine ! » Aujourd’hui, demain, rien ne presse.
TAPIS ET TENTURES.
Rien de la morgue européenne, ou si vous pré-
férez, des outrances de Chantecler qui croyait
que sans lui le soleil ne luirait pas !
Les ustensiles de ménage nécessaires dans la
demeure de l’Indien, c’est encore la forêt, la
prairie qui lui en donnent la substance. Petits
paniers, faits de deux feuilles d’écorce ; paniers
carrés pour mettre le riz ; grands paniers, comme
des malles, en baguettes de rotin ; baguettes à
chasser les esprits ; grandes et petites nattes,
vans pour nettoyer le riz ; petits bonnets ronds
d’une fibre ténue comme un fil et dont la per-
fection dans la délicatesse nous assure de la
patience de l’ouvrier.
La navigation, difficile dans cet archipel, semé
de récifs, d’îlots, a donné lieu à la confection
d’innombrables sortes de barques. Dans les
baies nombreuses que forment ces îles échan-
crées, les barques, serrées les unes contre les
autres, forment de véritables villages flottants ;
là vivent « gens de mer » et « gens des
estuaires », les uns s en allant au loin, les autres
simples canotiers. La construction des barques
est ce qu’il y a de plus étonnant, avec le mate-
riel élémentaire qu’ils utilisent. En voici de toutes
simples, c’est le tronc d’arbre évidé, et quand
le vent mène ces barques, il est reçu dans une
voile qui n’est qu’une natte, plus ou moins vaste.
Ils savent aussi faire des barques plus grandes,
rejoindre les blocs de bois avec des chevilles,
calfater les joints avec des résines. L’ancre de
ces embarcations est un harpon de bois avec
une (pierre pour donner du poids. Voici une
barque de pêche remarquable. Elle est à deux
voiles, robuste, massive, prête aux aventures de
la mer, elle fait penser au vaisseau d’Ulysse,
celui que le héros construisit tout seul dans l’île
d Ogygie, d une forêt de pins a abattre, ou le
conduisit la déesse Calypso, quand il eut lesolu
de partir. Comme le vaisseau d’Ulysse, avec les
moyens dont disposent ces pauvres Indiens, de
tels ouvrages sont vénérables. On ne peut re-
garder sans émotion cette carène faite de pièces
lourdes dont l’assemblage représente un labeur
immense. Nos travaux modernes, trop parfaits,
trop calculés, trop faciles, n’évoquent le senti-
ment que du gigantesque, de la puissance col-
lective, ne nous parlent que du triomphe de
l’industrie, de la grandeur des nations. Il n est
plus question de l’individu là-devant. L idée de
la fourmilière domine la fourmi. On admire, on
ne s’émeut pas.
Le tissage des cotons et des soies se fait tran-
quillement dans l’ombre reposante de la case,
c’est une occupation presque aussi silencieuse
dans la demeure que l’était jadis la broderie
qu’exécutaient nos grand’mères, en causant, dans
leur bergère d’un coin du salon. Rien de l’enfer
assourdissant des ateliers de tissage européens
où l’on ne rêve, dans chacun, que la vitesse et
la production, habiller le monde tout seul ! Oh !
que ce n’est ici rien de cela ! C’est doux, pa-
triarcal ; le métier est composé de quelques
montants de bois de tack ; les accessoires sont
un peigne de rotin, des baguettes et quelques
navettes peu bruyantes, peu diligentes de bam-
bou luisant et léger. Une femme travaille assise
sur un coussin. La journée est, pour elle, finie
sans fatigue ni peine ; elle a vaqué aux soins
du ménage, des enfants ; ce n’est pas la fatigue,
l’usine, c’est la vie heureuse des métiers indi-
gènes.
On nous montre aussi les tresseurs de cha-
peaux, qui, leurs mains de bronze perdues dans
les gerbes de fibres blanches, ont tout le calme
serein de leurs voisins les vanniers, la gravité
réfléchie, le geste précieux de l’Inde entière.
Voyez les sculptures de ceux qui travaillent
le bois. Ce sont, comme les sculptures de pierre
des anciens temples, des morceaux d une ri-
chesse inouïe, qui s’inspirent de la luxuriante
nature, ce sont de grands ouvrages exécutés
toujours avec de petits instruments. Du bois
fouillé comme de la dentelle, aux profondeurs
TAPIS ET TENTURES.
ajourées comme un buisson, sans une erreur,
sans une éraillure ; la gouge et le ciseau sont
d’une docilité parfaite et façonnent le relief sous
leurs paumes tranquilles. Là, non plus, jamais
de hâte. Si vous voyez un artisan qui se dépêche,
ou bien qui du moins en a l’air, ne vous y trom-
pez pas, ce n’est pas le désir du gain qui le
presse, il n’y songe guère, c’est un homme ner-
veux, voilà tout.
Pour le batik, un des plus beaux métiers d’art,
et qui a produit des merveilles, on trouvera
décrit d’autre part, dans un précédent article sur
les colonies néerlandaises, les allures ' silencieuses
de ces ouvrières silencieuses, assises en perma-
nence près d’un petit feu, et dessinant a la cire
sur les cotons ou les soies les fantastiques ara-
besques que leur inspirent les capricés de l’ima-
gination.
Que de métiers originaux, éloignés de l’in-
dustrie, caractérisent encore les populations de
l’Inde, notamment l’enluminure, qui est célèbre,
et dont quelques spécimens présents ne font que
rappeler de loin le passé glorieux de cet art !
Hélas ! c’est un avertissement. Tous les métiers
traditionnels, où s'accusent la personnalité d<
l’artisan, la tournure spéciale d'une pensée ori-
ginale, qu’il faut du temps, suivre, caresser avec
amour et réaliser, que ce soit dans le bois, dans
le coton ou la soie, tous ces métiers' lents et ré-
fléchis ne seront bientôt plus possibles, tous les
bras, toutes les intelligences, tous les efforts
quelconques doivent les uns apres les autres
céder au courant torrentiel de la grande indus-
trie qui détruit tout, pour faire une chose unique,
d'un bout du monde à l'autre, des fortunes !