Exposition Universelle Internationale De Bruxelles 1910
Organe Officiel De L'exposition, Vo.l 1
Forfatter: E. Rossel
År: 1910
Sted: Bruxelles
Sider: 452
UDK: St.f. 061.4(100)Bryssel
Søgning i bogen
Den bedste måde at søge i bogen er ved at downloade PDF'en og søge i den.
Derved får du fremhævet ordene visuelt direkte på billedet af siden.
Digitaliseret bog
Bogens tekst er maskinlæst, så der kan være en del fejl og mangler.
246
L’EXPOSITION DE BRUXELLES
auquel, selon la mode du temps, se plaît l’artiste
idyllique.
Jean-Baptiste Madou, dont le talent s’apparie
à celui de Ferdinand de Braekeleer, est un de nos
peintres de genre les plus caractérisés. Sa person-
nalité est presque aussi originale que son art.
Son nom évoque toute la période de i83o. II fut
non seulement un artiste habile, mais un homme
important dans la société de son temps. Parti de
très bas — ses origines furent des plus modestes —
il se fit par lui-même, par son talent et par son
énergie une place enviable parmi ses contempo-
rains. Il se mêla aux événements de i83o, porta
la blouse des patriotes, fit le coup de feu contre les
Hollandais, et la gloire lui étant bientôt venue, il
fut l’ami des hommes les plus considérés de son
pays. Un détail encore : il épousa la sœur de l’il-
lustre mathématicien Quetelet.
Il s’acquit non seulement la renommée, mais
encore la sympathie des personnalités les plus en
vue de son époque. Son humeur était charmante,
du reste; son esprit vif et primesautier. C’était,
dit-on, un charme de se trouver dans sa compa-
gnie, de l’entendre développer sa philosophie
aimable et facile ou donner libre cours à sa verve
railleuse
Cette philosophie moqueuse qui le caractérisait
était le fruit de l’esprit d’observation si affiné
parfois que nous retrouvons dans ses œuvres. Il
est, en effet, le peintre de genre par excellence de la
première moitié du XIXe siècle. 11 excelle dans la
notation des petits événements en apparence insi-
gnifiants et dont il tire les effets les plus variés. Il
note les moindres détails avec une rare perspica-
cité, et sa virtuosité faisant le reste, il crée des
scènes vivantes et originales. Chacun de ses per-
sonnages a son attitude particulière, chacun d’eux
vit de sa vie propre et concourt cependant à l’ani-
mation du groupe général. Il est saisi et fixé sur
la toile à l’instant psychologique où il prend à l’ac-
tion la part la plus active et la plus caractéristique.
Et ce qui fait l’intérêt de ces tableaux, c’est la
vie grouillante et pittoresque qui s’y agite. Le
Trouble-fête, la Fête au château avec leurs nom-
breux personnages nous donnent une illusion de
mouvement extraordinaire.
Les scènes de mœurs populaires furent souvent
l’objet de ses prédilections. Il pouvait dans ses
œuvres déployer la verve railleuse qui était dans
son esprit. La Cruche cassée est un de ses plus
curieux tableaux de genre, celui où son talent
semble s’apparier à celui de Teniers, avec en moins
cependant ce sens intime et profond d’un art supé-
rieur. Mais il y a là, dans ce petit conte fixé sur
la toile, une observation tout à fait remarquable.
Il était réservé au XIXe siècle de doter notre pays
du véritable peintre d’intérieur qu’il n’avait pas eu
jusqu’ici, de renouveler chez nous le charme du
Hollandais Pieter de Hoogh, de nous rendre la
beauté de cette lumière blonde et dorée, que fait
sous nos cieux profonds la matité des nuages et
des eaux.'
Henri de Braekeleer fut cet artiste merveilleu-
sement doué. Il naquit à Anvers en 1840 et y
mourut en 1888. Il était le fils de ce Ferdinand de
Braekeleer dont nous avons parlé au début de cet
article. Il fut élève de Leys, auprès de qui il prit
sans doute le goût de ses belles tapisseries archaï-
ques aux tons cuivrés de Cordoue; sa vie fut sans
gloire et sans joie, il vécut et mourut inconnu, ou
du moins mal apprécié. Ses contemporains préfé-
raient à la poésie intime et si profonde de ses
œuvres l’éclat tapageur des grandes compositions
historiques. La renommée devait lui venir après sa
mort et l'exposition qui se fit de ses tableaux à
Anvers en igo5 fut une date dans la révision de
ce procès artistique.
S’il fallait justifier ou du moins faire com-
prendre le peu d’estime en lequel le tinrent les
hommes de son temps, nous insisterions sur la
simplicité de ses tableaux. L’artiste n’a rien tenté
pour attirer sur ses œuvres une admiration super-
ficielle aisément satisfaite par un éclat d’emprunt.
Sa beauté est vigoureuse et vivante, mais d’une vie
profonde et pour ainsi dire concentrée.
Nous avons dit que ses sujets étaient très
simples. C’est un vieillard, assis dans un large fau-
teuil, rêvant ou somnolent, non loin de la fenêtre
ouverte, brave homme des Flandres, qui a gardé
pour songer ou dormir son large feutre sur la
tête, et auquel les lourdes tapisseries de cuir et
l’effigie d'un saint de pierre crée une ambiance
grave, solennelle et comme religieuse. C’est une
femme travaillant dans un intérieur modeste,
devant la grande baie ouverte sur la place d’où
surgissent les tours massives de la cathédrale d’An-
vers; et au milieu de ce calme recuelli des êtres et
des choses, il semble, au geste de la travailleuse
attentive, entendre sonner le carillon de la vieille
cité flamande. C’est le géographe penché sur ses
livres, c’est la fileuse, c’est surtout cette Echoppe
du Musée de Bruxelles, où il y a tant de poésie
mélancolique concentrée sur le plus humble et le
plus réaliste intérieur.
Mais ce qu’il y a là, par-dessus tout cela, c’est la
belle lumière blonde et dorée qui baigne toutes ces
choses. Parfois aussi elle est d’ambre; elle vient
des larges polders humides des rives de l’Escaut;
les vents salins l’ont filtrée et lui ont donné ce ton
mat et vibrant que l’artiste semble avoir emprunté
aux peintres hollandais de la grande époque, à un
Van Goyen et à un Vermeer de Delft.
Henri de Braekeleer est de la dynastie de ces
artistes de tempérament à qui ni l’étude ni le tra-
vail ne firent une originalité ; ils peignirent ce qu’ils
virent, simplement, sans préparation, presque par
instinct, et leurs yeux remplis de clartés firent
passer sur leurs toiles ces reflets lumineux qui
aujourd’hui encore charment nos regards.
Charles De Groux fut un artiste à l’inspiration
mélancolique. La disposition de son esprit le por-
tait à la tristesse; le spectacle des misères humaines
que sa sensibilité très aiguë lui présentait sans
cesse, accrut encore cet état d’âme, et c’est à lui
que nous devons ces belles œuvres émues qui font
vivre son nom.
Charles De Groux était d’origine française. Il
naquit à Comines, de parents français, mais le
choix qu’il fit de la Belgique comme résidence,
la nature même de ses goûts et de ses tendances
le rattachait à la tradition flamande. Il suivit
d’abord les leçons de Navez, mais il s’éloigna
bientôt de ce maître artificiel et sans inspiration.
Esprit pensif, entraîné vers le rêve et la médita-
tion, il chercha lui-même sa voie, et il la trouva
dans les sentiments de pitié et de tendresse qui
agitaient son âme d’artiste. Il fut le peintre des
humbles, l’interprète de leurs souffrances, de leurs
prières et de leurs recueillements. Leys ne dut pas
être sans influence sur le développement de son
talent. Un voyage qu’il entreprit à Dusseldorf,
et qui lui permit de se lier avec les peintres alle-
mands contemporains, détermina, sans nul doute,
la tendance de son inspiration.
Nous avons dit que Charles De Groux fut le
peintre des humbles. Son premier succès, qui attira
sur lui l’attention du public, il l’obtint avec son
tableau de l’ivrogne, actuellement au Musée de
Bruxelles. Le sujet en est réaliste. Il représente
une bruté, ivre de vin, entrant en titubant dans le
réduit où sur un galetas gît sa femme auprès des
enfants éplorés. Mais le soin qu’eut toujours
De Groux de peindre ses scènes d’angoisse ou de
mélancolie dans le milieu exact où elles se dérou-
laient, dans l’ambiance de misère et de tristesse qui
les caractérisaient si ouissamment, ne le détourna
pas du noble idéalisme qui parait son inspiration.
Ses paysans ont les traits anguleux de ceux des
Flandres, l’expression du visage grave et résigné.
Une singulière beauté, qu’on dirait venue de l’âme,
les illumine Les femmes surtout, à la physiono-
mie régulière, d’une suavité sereine, d’une douceur
ravie à la pureté représentative des anges, sont
comme des êtres ineffables de salut, de tendresse
et de mansuétude, mêlés aux douleurs et aux trivia-
lités humaines.
Cet idéalisme dans le réalisme des choses et des
êtres se retrouve dans presque toutes les œuvres
de Charles De Groux, dans sa Charité, dans son
Pèlerinage de Saint-Guidon, du Musée de Bru-
xelles, et surtout dans son Bénédicité, où le senti-
ment religieux de nos paysans flamands est exprimé
avec une émotion, une piété et surtout un sens de
la beauté qui en fait une page vraiment remar-
quable.
Charles De Groux s’essaya aussi dans la peinture
historique. La Mort de Charles-Quint, les fresques
que le gouvernement lui commanda pour les Halles
d’Ypres prouvent qu’il avait le sens de la grande
composition, mais, comme il avait mis toute son
âme, toute sa pensée rêveuse et émue dans ses
petits tableaux d’observation humaine, dans ses
représentations de la vie populaire, le souvenir de
la postérité restera attaché à ces dernières œuvres,
si profondément senties et vécues.
L’activité de Charles De Groux se porta dans
différents domaines de l’art. L’auteur du Bénédicité
fut également un aquafortiste, un lithographe de
talent. Et c’est encore son goût pour le pittoresque,
son amour des humbles qui le porta sans doute à
illustrer le Thyl Uylenspiegel, de Charles de
Coster. L’artiste, communiant par la pensée avec
le littérateur, pouvait s’enthousiasmer pour le
pauvre héros, symbole de souffrances et de misères
joyeusement supportées.
La liste serait longue des peintres de genre du
XIXe siècle dont le nom n’est pas encore oublié.
Voici Eugène de Block, peintre de portraits et de
genre, né à Grammont en i832, élève de Van
Huffel et de Ferdinand de Braekeleer, interprète
lui aussi d’humbles douleurs. Ses tableaux de la
Convalescente et de la Lecture de la Bible, du
Musée de Bruxelles, nous indiquent sa manière
consciencieuse, émue et parfois puissante.
Joseph Lies (Anvers, 1821-1863) fut un des meil-
leurs élèves de Leys, dont il sut emprunter le colo-
ris chaud et puissant. Son Martin Rossum devant
Anvers, mieux encore que son Episode du règne
de Baudouin à la Hache, nous prouve qu’il savait
animer une conception, rendre la beauté d’un
archaïsme, faire revivre dans une toile vibrante
une scène de terreur empruntée aux plus terribles
jours de notre histoire.
Le Gantois Adolphe Dillens (1821-1871) puisa
ses inspirations en Hollande. Ses Patineurs ^élan-
dais, son Pont d’amour avec leurs personnages de
fantaisie, sont des conceptions qui plurent beau-
coup au temps de leur apparition. La joliesse qui
les caractérise souvent aux dépens de la puis-
sance et de la vérité retient quelques instants
encore l’attention du visiteur au Musée de Bru-
xelles. Et de même, Florent Willems (Liége, 1824-
igo5), le peintre de Fiançailles, de la Toilette
de la mariée, avec l’éclat chatoyant des satins et
des soies, de la Fête de la mariée, de la Veuve,
d’une distinction délicate et fine, du Baise-main
et surtout de la Fête cheç les grands-parents,
d’une facture si élégante dans sa recherche,
popularisé d’ailleurs par la gravure, doit à sa
virtuosité de ne pas être oublié aujourd’hui dans
le flot pressant des talents apparus et presque
aussitôt disparus.
Arthur De Rudder.