Exposition Universelle Internationale De Bruxelles 1910
Organe Officiel De L'exposition, Vo.l 1
Forfatter: E. Rossel
År: 1910
Sted: Bruxelles
Sider: 452
UDK: St.f. 061.4(100)Bryssel
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L’EXPOSITION DE BRUXELLES
rieux château. Mais sous le charme du décor,
on ne distingue rien de semblable. C’est bien
le coin d’une de ces cités tragiques où des riva-
lités de famille ensanglantaient les rues. Au soir
tombant, le site est vraiment romantique, et il
faut tâter les murs de staff pour s’apercevoir
que ce n’est là qu’un illusoire décor.
Mais tout à coup la ruelle obscure s’élargit et
s’éclaircit. On arrive sur une petite place, et
l’impression change du tout au tout. Ici plus
rien de tragique, plus rien de mystérieux. On ne
songe plus à Everard T’Serclaes surprenant la
garnison flamande, mais à un joyeux dimanche
bruxellois d’il y a cent ans. Des maisons de
toutes les époques se coudoient fraternellement,
comme de bonnes personnes d’âge différent,
mais qui ont pris l’habitude de vivre ensemble :
maisons de pierre grise, maisons de briques
rouges, maisons de crépit blanc, rose ou jaune,
comme on en voit dans nos vieilles villes fla-
mandes. Et voici que, s’ouvrant à côté d’une
de ces demeures à tourelles que l’on appelle
invariablement en Flandre het casteeltje le
petit château, — apparaissent les colonnes du
marché.
Ce marché, avec ses galeries couvertes, est
une petite merveille d’architecture fantaisiste.
Ce n’est la reproduction d’aucune place célèbre,
et l’architecte n’a nullement cherche à faire
œuvre d’archéologue : il s’est laissé aller a sa
fantaisie de décorateur ingénieux, il s’est vague-
ment souvenu d’une maison de Bruges, d’une
maison d’Ypres, d’un coin du vieux Bruxelles,
du Bruxelles disparu, et il a composé quelque
chose de charmant, de gai, d’intime, où les
petites boutiques des commerçants et des caba-
retiers mettront de la vie.
Ce marché, c’est, si vous voulez, le cœur
de la ville. Mais que d’autres petites places,
que de coins, que de carrefours 1
La merveille de ce plan, c’est qu’on s’y perd
comme en un labyrinthe. Au fond, ce n’est pas
très grand, le quartier de Bruxelles-Kermesse,
et cela fait l’effet d’être énorme, et la Senne
qui serpente, disparaît, réapparaît au travers des
places et des ruelles, ajoute encore à cette im-
pression d’étendue. Et l’un des charmes du
quartier, ce qui achève de créer l’illusion né-
cessaire, c’est que l’architecte est arrivé à con-
server les arbres qui se trouvaient autrefois dans
ce coin de terrain, et notamment dans le jardin
de la villa Capouillet, qui est englobé dans
Bruxelles-Kermesse. Au détour de chaque ruelle,
on voit poindre un vieil orme ; les branches d’un
peuplier caressent un toit moussu. Voici au fond
d’une cour terminée par un petit mur, un parc
entrevu. Le petit mur, c’est la clôture de l’Expo-
sition ; le parc entrevu, c’est un jardin voisin.
Qu’importe, l’illusion y est.
Le fait est que l’illusion est partout merveil-
leusement obtenue. Il y a partout d’amusants
détails, une Vierge costumée dans sa chapelle,
une enseigne qui grimace -au-dessus d’une porte,
un meneau sculpté, une porte surmontée d’un de
ces frontons absurdes et charmants comme les
aimaient les bourgeois flamands du XVIIe siècle.
En vérité, on pourrait se promener huit jours
dans le quartier, et y faire sans cesse des dé-
couvertes nouvelles.
Mais en cheminant, le nez en l’air, comme il
convient au touriste qui visite une ville à
pignons, nous voici arrivé aux confins du vieux
quartier. C’est un quai, un quai qui borde un
bassin, et qui fait songer à un de ces petits
Torts où les jeunes Robinsons d’il y a cent ans
rêvaient de s’embarquer à la conquête des Iles
bienheureuses. Tout au fond, un diorama ferme
la vue et prolonge ce rêve hors du siècle. 11
forme l’autre rive du bassin qui semble avoir été
délaissé par les allèges et les navires. En réalité,
c’est le bassin du water-chute, une des attrac-
tions principales de la plaine des jeux qui est
jointe à Bruxelles-Kermesse, et qui occupe tous
les jardins de la villa Capouillet. Que voulez-
BRUXELLES-KERMESSE. — LE MARCHÉ.
vous ? Il n’est vieille ville si retirée qui n’ait
aujourd’hui son cinématographe. Pourquoi Bru-
xelles-Kermesse n'aurait-il pas son water-chute,
son scenic-railway, son théâtre électrique, son
hippodrome, voire une ménagerie, celle de
Bostock ?
Et puis, si Bruxelles-Kermesse est fait pour
nous évoquer la vie d’autrefois, on n y doit point
trouver, n’est-ce pas ? la mélancolie des choses
mortes ; on ne vient pas à une exposition
universelle pour s’exalter l’imagination selon les
formules romantiques. On y a donc évoqué le
passé, mais le passé gai, le passé riant, le passé
des vieilles chansons, des cramignons, des
kermesses. Dans ces jolies ruelles qui font
songer à Bruges, à Ypres, à Nieuport bien plus
qu’à Bruxelles, vous pensez bien qu’on ne ren-
contrera pas de béguines, mais d’accortes
marchandes, de souriantes cabaretières, de
joyeux aubergistes. Nous sommes dans une
vieille ville, mais dans une ville en fête,
dans une ville où l’on boit, ou 1 on mange, ou
l’on danse, dans une ville qui fait fête à ses
hôtes. De ceux-ci, les uns dînent chez le bour-
geois ou à l’auberge, les autres dînent au
château.
Ce château, c’est le somptueux restaurant du
Chien-Vert, dont les vastes salons pourront rece-
voir d’innombrables convives, et dont la terrasse,
dominant le bois, sera certainement un des
succès de l'Exposition. Figurez-vous le quartier
éclairé, non seulement par le phare électrique
qui, du haut de la tour du Chien-Vert, jettera
sur tous les jardins de l’Exposition le rayonne-
ment de ses 45,000 bougies, mais encore, par
l’illumination de toutes les façades, par les
lumières des magasins et des cafés, égayé par la
musique de ses orchestres, par le va-et-vient
de ses marchands et de ses visiteurs. Songez aux
mille distractions qu’on y trouvera: guignols,
cinématographes, théâtre de polichinelles, cafés
chantants, cabarets pittoresques, chanteurs de
rues, la retraite, la fameuse retraite qui chaque
soir, en 1897, entraîna la foule joyeuse, et vous
comprendrez que ce sera nécessairement là sur-
tout que se concentrera la vie de l’Exposition,
quand, le soir venu, les halls seront fermés. Le
quartier alors, représentera vraiment Bruxelles
en Kermesse.
La difficulté, dans des créations de ce genre,
c’est de contenter, à la fois, les goûts d’art ou
d’histoire de certain public et l'amour du plaisir
d’un autre public. Si l’on se contente d’évoquer
savamment le passé, au moyen de brillantes
reconstitutions architecturales, bons devoirs
d’école, on intéresse les gens cultivés, les gens
qui ont le goût de l’histoire, mais on ennuie
les autres, et les autres, c’est le grand nombre.
Si l’on exagère l’aspect kermesse, on écarte ce
public cultivé qui, s’il est peu nombreux, est
très influent, parce que c’est lui qui donne des
idées et des goûts à l’autre. Il y a là une
mesure très délicate à observer. Le Comité de
Bruxelles-Kermesse s'en est très bien rendu
compte, et il a très heureusement résolu le pro-
blème: les architectes, MM. Barbier et Van
Ophem, ont dessiné d’exquises façades, mais
ils se sont très bien rendus compte qu’il valait
beaucoup mieux s’abandonner à leur fantaisie,
à leur sentiment du pittoresque, que chercher à
faire de l’archéologie. Leur ville ne reproduit
exactement aucun coin du vieux Bruxelles ; mais
elle évoque tout le vieux Bruxelles, tel que nous
l’imaginons à la lecture des souvenirs de Joë
Dierickx de ten Hamme, ou du joli roman que
vient de publier M. Carton de Wiart, un vieux
Bruxelles cordial et joyeux, un vieux Bruxelles
où l’on regrette de ne plus vivre.
L. Dumont-Wilden.