L'exposition De Paris 1889
Troisième & quatrième volumes réunis
År: 1889
Forlag: A La Librarie Illustree
Sted: Paris
Sider: 324
UDK: St.f. 061.4(100)Paris
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L’EXPOSITION DE PARIS
175
peuple sauvage est une sorte de fossile vivant,
un être d’autrefois qui a prolongé son existence
au delà des limites habituelles, et son étude
offre autant d’intérêt spéculatif que celle des
ossements d’un animal actuellement disparu,
au paléontologiste. Cet intérêt, dans le cas
présent, est grandement accru par le fait que
l'animal en question, c’est notre société mo-
derne, civilisée, considérée à une époque déjà
reculée : cet animal, c’est une des formes par
lesquelles l’homme primitif s’est acheminé
dans son perfectionnement.
Il y a là matière à réflexions, mais non à
hilarité, autant que j’en puis juger, et je ne
vois pas en quoi il y a lieu de s’égayer si
• bruyamment. Le gros public se rit de lui-même,
sans s’en douter. Mais ce qui est excusable
chez des intelligences peu cultivées ne Fest plus
chez des hommes instruits ou passant pour
tels, et quand on en voit, au sujet de tel ou tel
souverain ou président d’un Etat lointain, ne
trouver qu’à railler leur physionomie, la chose
devient risible. Elle est inconvenante, en outre,
quand on les voit oublier les preuves de sym-
pathie et de dévouement dont ont fait preuve
ces souverains ou ces États, en venant contri-
buer, à prix de peine et d’argent, à l’éclat de
l’Exposition. Cette sympathie méritait meilleur
accueil et eût dû être reçue avec courtoisie et
bon sens, et non avec des ricanements.
Se contenter, au sujet d’une exposition
étrangère, de noter que le président a l’air
d’un « pompier aimable » ou d’un « orphéoniste
toulousain» est peut-être spirituel; c’est cer-
tainement d’une courtoisie qui détonne en
France et qui étonnera au loin.
Ceci dit, — et je tenais à le dire, en présence
des appréciations que l’on peut entendre chaque
jour émettre par le public, et parfois par les
éléments intelligents du journalisme, — j’en
viens aux Hawaii.
Leur histoire est curieuse, si l’on considère
en combien peu. de temps elles ont passé de
l’état sauvage à la civilisation. Un mot d’abord
sur leur configuration géographique. Les îles
Hawaii (ou Sandwich : mais Hawaii est le nom
indigène et officiel) consistent en 12 ou 13 îles
et îlots situés en plein Pacifique, entre la Cali-
fornie et le Japon, un peu plus rapprochés de
la première que du dernier. Je ne sais pour-
quoi on les confond si souvent avec Haïti, qui
se trouve dans l’Atlantique, et avec Tahiti qui
se trouve au sud des Hawaii, à 8 grands jours
de navigation. Ces îles et îlots sont de structure
volcanique et de formation relativement ré-
cente. Dans les îles de Kauaï (1), Oahu, Molokaï,
Lanaï, l’activité volcanique est éteinte, mais
dans l’île principale, Hawaii, qui a donné son
nom au groupe, deux cratères formidables
existent encore, l’un au sommet du Mauna
Loa (plus de 4,600 mètres : 200 mètres de
moins que le mont Blanc), et l’autre, le Kilauea,
sur les flancs de la même montagne. Ce dernier
cratère, qui est le plus important des deux, est
aussi le plus grand des cratères actifs au monde.
Il a près de 13 kilomètres de tour, et entre sou-
vent en éruption : à ces moments il y a des
tremblements de terre parfois très fréquents
et violents, la lave s’écoule en fleuves incan-
descents qui détruisent tout, et dévastent les
régions qu’ils parcourent avant d’aller s’éteindre
dans la mer. Dans File voisine de Maui se
trouve lemont Haléakalaqui présente à. son som-
met le plus grand cratère éteint que l’on con-
naisse : il a 30 kilomètres de circonférence.
1. Noter que au se pi'ononce aou, et u, ou.
Toutes les îles sont faites de matériaux vol-
caniques; toutes présentent des montagnes
basaltiques plus ou moins élevées. On a pu voir
à l’Exposition hawaiienne une admirable série
de photographies représentant les progrès
d’une coulée de lave, photographiée en un
même point dø dix en dix minutes^ en une
heure un charmant paysage a fait place à une
mer de lave brûlante qui a tout recouvert, tout
comblé, tout nivelé sous ses flots destructeurs.
La superficie de tout l’archipel équivaut à celle
de trois départements français moyens. La végé-
tation est superbe : situé aux confins des tro-
piques, l’archipel présente une flore abondante,
où le cocotier, le pandanus, le santal pullulent,
entrelacés de fougères arborescentes énormes
et de lianes inextricables.
Le sommet des hautes montagnes est cou-
vert de neiges éternelles, et fait un contraste
singulier avec la flore luxuriante qui s’étale
à leurs pieds. Autour de chaque île, dans la
mer d’un bleu intense, s’étale une bordure
de récifs coralliens. C’est là, au voisinage de
ces récifs, que se trouve le seul animal malfai-
sant des îles : le requin, si répandu d’ailleurs
dans tout le Pacifique. Sur terre, en effet, pas
un serpent, pas un animal nuisible : pas de
fauves non plus. Du reste, la faune des îles
Hawaii offre certaines particularités. Comme
l’archipel est de formation relativement récente,
et n’a jamais dû être relié à un continent quel-
conque, les animaux sont peu nombreux, et l’on
n’y trouve guère que les espèces qui ont pu y
venir avec leurs propres ressources, comme
certains oiseaux et insectes, ou celles qui ont pu
arriver avec l’homme, des îles ou continents
avoisinants. Il est une famille zoologique qui ne
se trouve en aucun autre point du globe c’est
la famille des achatinelles, un petit mollusque
teirestre qui y est très abondant, et qui, chose
particulière, présente un nombre énorme de
variétés, dont la plupart sont réparties dans
des zones extrêmement restreintes. Parmi les
végétaux utiles, il faut signaler le riz, le café, la
canne à sucre, l’arbre à pain, le manguier,
l’avocatier, etc. Le plus utile de tous, ou du
moins celui qui joue le plus grand rôle dans
l’alimentation des Hawaïens, est le Taro {Arum
esculentwm}. Les tubercules de cette plante, cuits,
puis pilés en une pâte qu’on laisse fermenter,
donnent la Poï, le mets national qui fait le fond
de la nourriture des indigènes. C’est une des
substances les plus alimentaires que l’on
connaisse, car un mille carré de Taro suffit à
nourrir plusse 15,000 personnes pendant un an,
d’après des calculs faits par des observateurs
compétents. L’agriculture est fort développée.
Le café est moins productif qu’il ne l’était il y
a quelque 25 ou 30 ans, par suite d’une mala-
die parasitaire qui a atteint et détruit nombre
de plantations, mais le riz est très abondant et
d’excellente qualité, et la production sucrière
atteint de 120 à 130,000 tonnes par an. Tout ce
sucre se vend aux États-Unis, où se fait le raffi-
nage. Uncoupd’œil sur l’Exposition hawaiienne
montre combien les progrès de la civilisation y
ont été considérables, surtout si l’on tient un
peu compte de l’histoire de l’archipel. C’est,
on le sait, en 1778 qu’il a été découvert par le
navigateur anglais Cook. Celui-ci lui donna le
nom de Sandwich, en l’honneur de lord Sand-
wich, alors à la tête de l’amirauté anglaise. Sa
brutalité envers les indigènes, pourtant doux,
fut cause de sa mort en 1779. Pris par les
indigènes pour un de leurs dieux qui les avait
quittés, croyaient-ils, depuis un temps déjà
long, il se crut obligé de jouer le dieu vengeur
et terrible : pour une peccadille, il les mal-
traita : les indigènes ripostèrent; blessé, il
poussa un cri. « Il crie, dirent les indigènes :
donc ce n’est pas un dieu », et ils le tuèrent.
Son sort fut triste assurément, mais on n’ose-
rait dire qu'il fut immérité, et Cook, au point
de vue de l’humanité, demeure fort inférieur
à Vancouver, autre navigateur qui aborda
aux Hawaii aussi, et y introduisit le bétail et
le cheval, dont les descendants, devenus sau-
vages, paissent dans les prairies qui s’étagent
sur le flanc des montagnes. A l’époque où Cook
visita les îles, il y avait une population de
3 ou 400,000 habitants. Le régime féodal y do-
minait : chaque île avait son chef, et chaque
chef ses vassaux. Les Hawaiiens pratiquaient
à l’occasion de certaines cérémonies religieuses
des sacrifices humains, mais ils n’étaient point
anthropophages. De couleur brune, grands,
bien faits, les Hawaiiens constituaient une belle
race intelligente, et, à tout prendre, de mœurs
douces. A partir du moment où les blancs fré-
quentèrent l’archipel, la population indigène a
diminué rapidement. Cette diminution est due
à des causes très diverses : à l’infanticide, au
libertinage, à des maladies apportées par l’é-
quipage de Cook et ceux qui ont suivi, à la
lèpre, importée probablement de Chine, à l’al-
cool, à la mauvaise hygiène, etc. En un siècle,
la population est tombée à 38,000 ou 40,000.
C’est là un exemple effroyable de la rapidité
avec laquelle une race peut disparaître, mais ce
n’est point un exemple isolé : presque partout
la race polynésienne, à laquelle appartiennent
les Hawaiiens, s’éteint au contact de l’homme
civilisé. Elle garde ses défauts, ses vices, et
en acquiert de nouveaux que lui apportent les
blancs : elle ne peut résister à cette accumula-
tion de causes de destruction. Pour remédier à
«ette dépopulation si rapide, le gouvernement
a dû prendre des mesures énergiques : il a fait
appel à l’immigration, et a fait venir de la
main-d’œuvre, indispensable au développement
de l’industrie agricole, qui est la principale
ressource du pays, de la Chine, du Japon et
enfin des colonies portugaises. Actuellement
l’archipel renferme environ 80,000 habitants,
dont 40,000 indigènes.
L’œuvre civilisatrice a été rapidement effec-
tuée, principalement par les soins de mission-
naires catholiques et protestants, venus de
France, d’Angleterre et des États-Unis. Grâce à
eux, les cultes et les coutumes idolâtres ont ra-
pidement disparu, et les mœurs civilisées se
sont implantées avec solidité. Il convient
d’ajouter que, grâce à l’esprit tolérant et large
des missionnaires des deux cultes, jamais
aucun conflit religieux ne s’est élevé : ils ont
travaillé ensemble à une même œuvre, sans se
laisser entraîner par un esprit de prosélytisme
déplacé : ils ont, avant tout, voulu faire œuvre
civilisatrice et y ont pleinement réussi. C’est
à eux surtout que l’on doit la grande diffusion de
l’instruction -dans l’archipel. Dès le début, ils
ont su montrer aux chefs des grandes familles
indigènes, l’utilité de l’instruction, et ceux-ci
ont commandé à leurs parents, et aussi à leurs
subordonnés de venir s’instruire. Plus tard, le
gouvernement s’est occupé de la question, et a
institué un grand nombre d’écoles où tous les
enfants, indigènes et étrangers, reçoivent une
excellente instruction primaire, si bien que l’on
a pu dire, depuis plusieurs années déjà, que
l’on aurait peine à trouver dans l’archipel un
enfant qui ne sût lire, écrire et compter. Si on
le découvrait, il y a toutes les chances pour
que ce fût un enfant d’étrangers, un Chinois